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qui pourrait dénaturer son élection, et acceptant d’être au Luxembourg le porte-drapeau de la république parlementaire et libérale. Cette élection est-elle destinée à avoir d’autres conséquences ? C’est ce qu’on verra. Pour le moment, si elle a été une surprise, elle est sûrement un signe de plus de ce courant nouveau qui se dessine, du désir de retrouver de la clarté, de la fixité, une direction dans nos affaires françaises.

S’il est des momens où l’Europe, encore meurtrie des coups de la force, prompte à s’émouvoir, en est toujours à craindre des crises nouvelles, il y a aussi des momens où elle se laisse aller moins aisément aux paniques, où elle croit plus volontiers à la paix parce qu’elle la désire. Cela ne veut pas dire, par exemple, que cette paix qui se maintient dans les faits à l’heure qu’il est tienne à une situation bien assurée, à des rapports mieux réglés ; elle tient plutôt à la lassitude, à des préoccupations multiples, aux diversions intérieures qui détournent l’attention des grands conflits. Qu’en est-il aujourd’hui de ces grandes combinaisons de diplomatie qui prenaient un air menaçant et ressemblaient à un préliminaire de guerre ? Qu’est devenue cette triple alliance elle-même qui a contribué plus que tout le reste à tenir l’Europe sous les armes, dans une crainte perpetuelle de guerre ? Elle subsiste toujours, sans doute, sur le papier. Elle renaîtra peut-être un jour ou l’autre, c’est possible ; pour le moment, elle semble assez éclipsée ou usée. Entre alliés il y a plus de froissemens et de malentendus que de témoignages de bonne intelligence ou d’amitié. Il y a des défiances, des récriminations, des mésintelligences à peine déguisées, de la confusion. Les circonstances ont changé ; elles semblent provisoirement plus favorables à la paix désirée par les peuples qu’à la guerre qui a été si longtemps l’obsession du monde.

C’est qu’en effet, autant qu’on en puisse juger par les apparences, la plupart des pays de l’Europe sont aujourd’hui tout entiers à d’autres affaires, à d’autres préoccupations, à d’autres intérêts plus puissans ou plus pressans que toutes les combinaisons factices. La plupart des nations, à commencer par l’Allemagne elle-même, ont leurs agitations sociales, leurs crises économiques, leurs troubles intérieurs, et le chancelier de Berlin, M. dé Caprivi, ne paraît pas depuis quelque temps avoir la vie facile avec ses luttes de partis, avec les résistances qu’il rencontre pour sa loi militaire, avec cette explosion de plaintes agraires qui vient de lui susciter de nouveaux embarras. Le chancelier, qui n’est d’ailleurs ici que l’exécuteur de la volonté de l’empereur, finira-t-il par avoir raison des résistances de son parlement et par conquérir la réforme de l’armée ?

Le fait est que les arméniens démesures, les accroissemens de charges militaires n’ont pas aujourd’hui la faveur de l’opinion en