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distinction plus ou moins saisissable entre les droits de l’autonomie irlandaise et les intérêts permanens, impériaux de la Grande-Bretagne.

Reste à savoir ce que deviendra dans la pratique des choses cette organisation nouvelle, imaginée par un puissant esprit, quel va être le sort de ce projet dans le parlement. La difficulté sera toujours sans doute de faire marcher ensemble tous ces droits divers qui se sont si souvent heurtés depuis un siècle, depuis l’acte d’Union, qu’on se propose aujourd’hui de combiner par une libérale transaction, par un tardif traité de paix. Un des points faibles du nouveau projet est surtout cette admission des Irlandais à Westminster avec des facultés mal définies. Quel moyen y aurait-il de distinguer entre les affaires auxquelles ils auront le droit de participer et les affaires sur lesquelles ils n’auront plus le droit de voter ? Comment concevoir cet état singulier où les Irlandais, à peu près maîtres chez eux, dans leur île émancipée, dans leur parlement, pourront de plus peser du poids de quatre-vingts voix dans le parlement impérial, avoir leur influence sur la direction générale de la politique britannique, sur l’existence d’un ministère ? M. Gladstone lui-même ne s’y est pas mépris ; il a avoué avec candeur que la distinction dépassait peut-être l’intelligence humaine, et ce n’est pas de son propre mouvement, ce n’est que par une sorte de concession qu’il s’est prêté à une combinaison qu’on lui reprochait de n’avoir pas inscrite dans ses anciens projets. S’il n’y avait que cela, ce ne serait rien. M. Gladstone en serait quitte pour livrer à ses adversaires une proposition à laquelle il ne tient guère ; mais il est bien clair que l’admission des Irlandais à Westminster n’est qu’un détail. C’est l’idée même, c’est le principe du home rule qui rencontre l’ardente, l’implacable opposition des conservateurs et des unionistes. Déjà, dès la première lecture, lord Randolph Churchill, M. Balfour, les chefs unionistes ne se sont fait faute de cribler le nouveau bill de leurs sarcasmes, et ce n’est là encore que le préliminaire de la bataille plus décisive qui s’engagera prochainement à la seconde lecture. Évidemment les conservateurs sont décidés à une résistance désespérée, et lord Salisbury lui-même a promis d’aller combattre le home rule dans les meetings.

Tories et unionistes ont déjà ouvert passionnément la campagne. M. Gladstone, d’un autre côté, peut-il compter jusqu’au bout sur les Irlandais, qui seuls, par leur alliance, peuvent lui assurer la majorité dont il a besoin ? Les Irlandais seraient bien difficiles, s’ils manquaient au grand chef qui dévoue ses vieux jours à leur cause. Jusqu’ici leurs représentans, M. Sexton, entre autres, en faisant quelques réserves de détail, n’ont point hésité à soutenir le bill. Les parnellistes eux-mêmes, dont on avait à craindre la dissidence, paraissent tous décidés à se rallier. De sorte qu’à la rigueur, avec les Irlandais qui sont les premiers