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une foule dense que l’on n’avait point soupçonnée. Le quartier arabe est percé de ces tunnels sombres, de ces ruelles voûtées ou plafonnées de nattes. Pour traverser la ville, pour aller de la Porte de David à la mosquée d’Omar, on fait un voyage souterrain au bout duquel on émerge à la lumière. Dans cette obscurité, on avance lentement, porté par la foule, à travers la pouillerie pittoresque, entre les échoppes où l’on ne peut se tenir qu’accroupis, les logis minuscules dont la taille semble juste mesurée à la longueur des corps. Comment l’homme peut-il vivre ainsi tassé contre l’homme ? Comment les pestes n’empoisonnent-elles pas ces obscures masses vivantes ? Ruche et fourmilière, le mot revient toujours pour décrire ces agglomérations intérieures, ces cellules serrées, ces sociétés simples où les hommes très semblables n’ont point d’existence distincte, où l’individu, n’étant pas dégagé, n’éprouve pas le besoin de faire une place vide autour de lui.

De beaux types primitifs, qui tous sentent la race. Jamais rien dans les traits qui indique une habitude originale, une éducation spéciale, un métier. Rien de mobile, de varié, aucun de ces visages, chez nous si fréquens, où se reflètent toutes les préoccupations changeantes du moment, où s’entre-croisent en plis imperceptibles, en mille nuances, tous les soucis de la vie passée. Des physionomies arrêtées, figées, où l’on n’aperçoit que des caractères généraux, des traits de races. Des types, au vrai sens du mot. Cela est visible surtout chez les Bédouins superbes et gauches, à l’ossature sèche, aux barbes assyriennes, aux nez busqués, aux mains maigres chargées de joyaux, superbes et lents de gestes, traînant des manteaux roides et lourds comme des étoles. Il y a des vieillards tranquilles, très beaux, le teint tanné dans une barbe éblouissante de blancheur, le front sillonné de rides, de vieilles femmes accroupies, aux mamelles pendantes, aux mamelles de bêtes, durcies comme des outres ridées. Et dans cette pénombre, cette crasse, ces couleurs font une confusion harmonieuse et admirable.

Plus loin, le quartier juif, où le pullulement est plus étrange et plus sordide encore. On m’affirme que l’on compte maintenant quarante mille juifs à Jérusalem, tous revenus d’Europe. Tous les ans, ils affluent plus nombreux de Pologne et de Russie. Voici la ruelle où ils se tassent, si étroite qu’on y voit à peine clair, bordée de boucheries sanglantes où des têtes de mouton sont empilées. Là-dedans une cohue puante, souffrante, loqueteuse, scrofuleuse, anémiée par la vie à l’ombre, des yeux enflammés ou chassieux, des teints malsains, presque translucides à force de pâleur, les vieux costumes des juifs du moyen âge, longues tuniques d’Orient, rayées de jaune, longues lévites serrées à la