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ils restent là, les bras en croix, le pouce et l’index soigneusement rapprochés. D’autres, régulièrement, se courbent, baisent la terre, se relèvent tout droit à la façon des musulmans. Les signes de croix, terminés de droite à gauche, sont dessinés très lents, très grands, couvrant le corps de la tête aux genoux.

Avec le triomphe du rite, le triomphe de la crédulité. En terre-sainte, pas un fait évangélique dont on ne puisse vous dire en vous montrant une pierre : c’est ici qu’il s’est passé. Luc a parlé du bon larron : voici la tombe du bon larron. Voici la place où se tenait Marie ; voici le rocher qui s’est fendu jusqu’aux entrailles de la terre, — on ajoute jusqu’au tombeau d’Adam, dont le crâne est là, juste au-dessous de nous ; voici la pierre sur laquelle le cadavre divin fut embaumé ; voici les tombes de Nicodème, de Joseph d’Arimathie. Ailleurs, dans la campagne des environs, on montre la tombe de la Vierge, l’empreinte que laissèrent les pieds du Christ lorsqu’il quitta la terre sur le mont des Oliviers. Qui ne sent qu’elle est touchante et respectable, cette foi simple de tant de pauvres pèlerins d’Occident qui, venus de si loin, en processions prolongées de siècle en siècle, ont voulu étreindre cet Évangile dont leur cœur s’était nourri ? Vraiment, l’on s’étonne que des gens de goût se soient montrés méprisans, aient entrepris la tâche facile de railler et de réfuter, que leur critique de lettrés, leur scepticisme supérieur, ne se soient pas tus devant l’amour impérieux des humbles qui ont voulu toucher.

Entre toutes ces reliques, il en est une, trois fois sainte, parce que notre race en a tant rêvé, tant de lèvres l’ont baisée, que cela suffit à la rendre vénérable et que l’on ne songe guère à s’enquérir de son authenticité. C’est au fond d’un petit sanctuaire de marbre où le jour n’a pas accès. Là, dans la deuxième chambre, si étroite que deux personnes seulement peuvent y trouver place, sous une lampe qui veille, une dalle s’allonge, posée, dit-on, juste au-dessus du sépulcre divin. Dans ce tabernacle secret, où les pèlerins ne pénètrent qu’un à un, en se courbant sous une porte très basse, entre ces murs qui vous isolent et vous enferment étroitement, se rejoignant au-dessus de votre tête, il est permis de s’agenouiller un instant. L’air est lourd, des parfums s’étirent en nappes bleuâtres dans le rayonnement mystique de la veilleuse. Le silence pèse, solennel. Et puis, sans mot dire, un pope dont vous n’aviez point remarqué la forme sombre s’approche et vous verse sur les mains quelques gouttes d’eau de rose. C’est le signal ; il faut se lever, se retirer à reculons, les yeux fixés sur la dalle vénérable, en se pliant pour passer sous la porte basse.

De l’autre côté, dans l’obscurité de la première chambre, des