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gouverneurs actuels sont presque tous des généraux, ses compagnons d’armes, mutilés des guerres civiles qui lui sont aveuglément dévoués. Les hommes qui avaient marqué autrefois dans le parti libéral, même ceux qui en 1876 avaient contribué à porter Porfirio Diaz à la présidence, ont été mis à l’écart. Tout semblant d’opposition dans les chambres est sévèrement réprimé. Dans la session 1891-1892, le congrès discutait une loi introduisant le divorce : le maître en avait autorisé la présentation ; quelque temps après, pour des motifs de politique électorale, il lui convint de la mettre de côté ; les députés qui l’avaient proposée en demandèrent eux-mêmes l’ajournement ! Les journaux sont muselés ou subventionnés. Un amendement constitutionnel a retiré, en 1883, la connaissance des délits de presse au jury, pour les transférer aux magistrats ordinaires qui sont absolument dans la dépendance du pouvoir central. La prison préventive est rigoureusement appliquée en pareil cas, et de temps à autre, à son réveil, Mexico apprend que deux ou trois journalistes, un peu trop spirituels, ont été emprisonnés dans la nuit. Les feuilles indépendantes, — il y en a encore quelques-unes, — ne se distinguent des feuilles payées que parce qu’elles s’abstiennent de flatteries serviles.

Comme Bonaparte pendant les années du consulat, Porfirio Diaz supprime ceux qui lui font ombrage. Plusieurs de ses amis, devenus indiscrets, ont été engagés à voyagera l’étranger. Quant à ses adversaires, à peine sont-ils soupçonnés, qu’ils sont arrêtés. Presque toujours ils ont le malheur de chercher à s’échapper, ce qui, selon les règlemens militaires mexicains, oblige le chef de l’escorte à les faire fusiller sur place, sans jugement. Il fait son rapport, et tout est dit.

Après avoir étouffé toute velléité de pronunciamiento, Porfirio Diaz s’est occupé des bandits. Par ses ordres, les gouverneurs des États les ont exterminés, et aujourd’hui il n’y a guère davantage de pillages d’haciendas ou de diligences qu’en Europe. L’on pourrait très bien, n’était l’usage universel, se dispenser de porter un revolver à la ceinture ; on n’a plus que rarement l’occasion de le décharger. Les trains circulent maintenant sans escorte militaire. Il n’y a que la ligne de Mexico à la Vera-Cruz par où passent les envois de piastres pour l’Europe et où, à cause des abîmes que la voie côtoie, un déraillement aurait des conséquences effroyables, sur laquelle on ait encore la précaution de mettre en tête du train une cinquantaine d’hommes. Mais comme les soldats sont de pauvres Indiens enrôlés par une presse semblable à celle dont on usait jadis en Angleterre pour recruter les équipages des vaisseaux de Sa Majesté, et qu’aux stations intermédiaires ils risqueraient fort de prendre la clé des champs, les officiers gardent dans leur poche, pendant