Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est le premier élément de la constitution sociale. On la voit, on la sent partout, tandis qu’aux États-Unis on n’en entend jamais parler, si ce n’est dans le voisinage des postes qui surveillent les restes des tribus indiennes.

Dès son avènement, Porfirio Diaz a organisé un corps de gendarmerie rurale, qui dépend exclusivement de lui et est chargé de donner la chasse aux bandits dans toute l’étendue du territoire de la république. Il ne fallait pas compter pour cela sur les milices locales que les États particuliers peuvent entretenir. En fait, ils n’en ont pas ; les autorités municipales ont seulement un luxe de sergens de ville qui rappelle celui des villes françaises et italiennes. La gendarmerie rurale est recrutée parmi les plus hardis cavaliers du pays, d’aucuns disent parmi d’anciens bandits. Tout vêtus de cuir, avec des ornemens d’argent, merveilleusement montés et armés, les charros, c’est le nom qu’on leur donne, sont devenus très vite populaires. Dans les revues, ils forment de magnifiques escadrons, toujours chaleureusement acclamés.

Quant à l’armée proprement dite, elle est organisée sur le modèle de la nôtre ; mais ses uniformes voyans et la démarche des hommes la font plutôt ressembler à l’armée italienne. Elle compte environ 40,000 hommes, sur lesquels la proportion des officiers, des colonels et même des généraux est fort élevée. Nous sommes, en effet, en pleines cosas de España. Le cadre de l’état-major-général est en réalité celui des anciennes bandes qui ont fait la guerre de l’intervention et le pronunciamiento d’où est sortie la dictature actuelle. C’est dire qu’il est recruté presque exclusivement parmi les métis et ne jouit que d’une bien petite considération. Le président se préoccupe de remédier à cet état de choses. L’école militaire établie à Chapultepec, dans l’ancien palais de Montezuma et de Maximilien, a été réorganisée sur le modèle de Saint-Cyr. Les études commencent à y être sérieuses, et dans ces dernières années, quelques jeunes gens appartenant aux bonnes familles du pays y sont entrés avec la pensée de faire dans l’armée une carrière régulière. C’est peut-être le symptôme le plus significatif de l’assiette que prend la société, de la confiance qu’elle a dans l’avenir.

Quant aux soldats, ils se recrutent dans la partie la plus infime de la population. Le service militaire obligatoire et la conscription existent en principe ; mais, malgré l’égalité des droits proclamée par la constitution, toute personne bien vêtue, ce qu’on appelle une gente décente, en est exempte. On remplit les rangs des régimens avec les pauvres Indiens qu’on attrape dans les villages, qu’on recueille dans les prisons municipales où la police jette par troupes les ivrognes et les tapageurs nocturnes. Aussi un nombre