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séances et, se jetant sur M. Gautier, chevalier de Saint-Louis et directeur des constructions navales, lui porta un coup de sabre qui fut heureusement détourné. Au même instant, Lantier de Villeblanche et Beaudin, découverts dans leur cachette, étaient saisis, jetés à terre, piétines et roués de coups. On parvint avec peine à les arracher, meurtris et ensanglantés, aux mains furieuses qui les tenaient et à les faire fuir par les toits. Quelque temps encore l’émeute tourbillonna dans l’hôtel de ville, cherchant et réclamant, avec d’affreuses vociférations, sa proie échappée ; puis sa rage se tourna contre le palais épiscopal.

L’évêque, Elléon de Castellane, était absent. On pilla ses cuisines, on traîna jusqu’au port et on jeta son carrosse à la mer. Le pillage de la maison Beaudin et d’une autre maison appartenant au prédécesseur de Beaudin dans la charge de procureur de la commune suivit de près le sac de l’évêché. La dévastation fut complète ; « l’incendie dévore moins vite : en quelques heures, la maison Beaudin n’était pas même une ruine[1]. » Un nouvel abaissement du prix des denrées de première nécessité, accordé le soir par les consuls, ne put calmer l’effervescence. Le lendemain matin, des attroupemens se formèrent ; le local dit du Piquet[2] fut forcé, saccagé, démoli ; la maison Lantier éprouva le même sort ; l’hôtel de ville lut envahi pour la seconde fois, et les consuls se virent contraints de consentir encore à une diminution du prix du pain, ruineuse pour les finances de la ville, qui fut obligée d’allouer d’énormes indemnités aux boulangers, aux bouchers et aux marchands d’huile.

Instruit de ces faits, le parlement d’Aix rendit, le 1er avril, un arrêt qui interdisait les attroupemens et déclarait coupables de lèse-majesté et de rébellion tous fauteurs de désordres[3]. Des commissaires chargés de procéder à une enquête arrivèrent à Toulon. Après une longue procédure, plusieurs condamnations à la potence ou au fouet furent prononcées. Nul doute que l’exécution de ces jugemens n’eût inspiré une crainte salutaire aux hommes de désordre et de violence qui venaient d’entrer en scène. Mais à cette heure critique où le principe d’autorité était battu en brèche avec une audace chaque jour croissante, personne ne savait ou n’osait plus le défendre. Sous la main hésitante et molle de Louis XVI, les ressorts du gouvernement s’étaient insensiblement détendus ; les agens du pouvoir mêmes avaient subi la contagion

  1. Lauvergne, Histoire de la Révolution dans le Var, p. 11.
  2. On donnait le nom de Piquet à une taxe sur la mouture du blé qui constituait le principal revenu de la ville. Ce droit d’octroi était de 25 sous pour trois quintaux de farine.
  3. Henry, Histoire de Toulon depuis 1789 jusqu’au consulat, I, p. 54.