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accompagné du comte de Carpillet, commandant des troupes de terre de la garnison, — qu’on est un peu surpris de voir s’associer à une pareille démarche, — se rendit auprès du commandant de la marine et, sous prétexte de « prévenir l’insurrection qu’un tel acte d’injustice et d’oppression pouvait occasionner[1], » lui demanda la grâce des deux ouvriers. M. de Rions fut inflexible. On l’avait menacé d’une émeute : il prit les dispositions nécessaires pour la comprimer au besoin, et ordonna que deux détachemens de canonniers-matelots, de cinquante hommes chacun, se tinssent prêts. Cette précaution, qui faisait simplement honneur à sa prudence, devait être plus tard dénoncée à l’assemblée nationale comme la preuve du projet d’égorgement et de massacre qu’il aurait formé !

Le lendemain, 1er décembre 1789, le consul, suivi de quelques membres du conseil municipal et d’un grand nombre de citoyens, se présenta, vers neuf heures du matin, à la porte de l’arsenal et se fit annoncer à M. de Rions. Invité à entrer, il s’y refusa. Le Mémoire de la ville de Toulon prend soin de nous donner l’explication de ce refus : le consul et les officiers municipaux jugèrent a impolitique et imprudent de se rendre à une telle invitation parce que l’arsenal était le centre de la puissance et de la force du commandant[2]. » Sans doute, ils craignaient de ne pas sortir vivans de cet antre ! « Le consul et la partie du conseil qu’il avait avec lui firent donc sagement de ne point y entrer et de faire dire au commandant d’indiquer, dans la ville, tel lieu de rendez-vous qu’il désirerait[3]… » On reconnaîtra que M. de Rions avait peut-être le droit de se montrer froissé d’un aussi étrange procédé : il se contenta de répondre qu’il allait se rendre à sa demeure particulière, l’hôtel de la marine situé au centre de la ville, sur la place nommée encore aujourd’hui le « Champ de Bataille. »

Les événemens qui suivent nous sont exposés dans deux documens fort intéressans. L’un est ce Mémoire de la ville de Toulon auquel on a déjà emprunté plus d’un détail ; l’autre, une relation composée par M. de Rions lui-même[4]. D’après la première de ces deux versions, le commandant de la marine serait sorti de l’arsenal « accompagné de plusieurs officiers sous ses ordres. Ils avaient chacun la main à la garde de l’épée… Il voulait rendre son escorte plus formidable par un détachement du poste de l’arsenal ; mais plusieurs personnes l’en dissuadèrent, l’assurant

  1. Mémoire de la ville de Toulon, p. 30.
  2. Ibid., p. 37.
  3. Ibid., p. 38.
  4. Brochure du temps intitulée : Mémoire que M. le comte d’Albert de Rions a fait dans la prison où il est détenu.