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de la fortune, une belle position sociale et d’autres dons encore, dont on a une perception confuse et qu’on ne réussit pas à démêler, mais qui contribuent à former l’homme d’action, le conducteur du troupeau.

Le propre de la science est de déterminer les conditions des phénomènes, et de pouvoir reproduire à coup sûr des effets qui, dans l’ignorance ordinaire des choses, sont livrés au caprice du hasard. À ce point de vue, l’hypnotisme constitue une étude bien intéressante. À cette action morale, il a donné une forme scientifique ; il l’a réglée, il a montré les moyens qui sont propres à l’augmenter et à la rendre irrésistible ; grâce à l’hypnotisation, une personne subit à ce point l’ascendant d’une autre, qu’elle devient absolument son instrument, sa chose.

Cette régularisation d’une action psychologique des plus mystérieuses ne s’est pas faite clairement et logiquement, dès le début ; il semble même que de parti-pris on ait longtemps cherché à ignorer la part de l’homme, comme agent psychologique, dans l’hypnotisme. Consultons l’histoire, et voyons quel est le premier auteur à qui on doit, suivant l’opinion commune, une bonne description des effets de l’hypnotisme ; cet auteur est Braid. Or, qu’a-t-il fait ? Son œuvre, assez diverse, est, en certaines parties, bizarre et même absurde ; mais elle a un caractère dominant qui lui donne une unité indiscutable ; Braid a essayé de prouver que l’état d’hypnotisme ou de somnambulisme peut être produit par des moyens physiques bien déterminés et d’une nature connue. Avant lui, pour jeter une personne en somnambulisme, on croyait qu’un fluide était nécessaire ; on s’imaginait que le magnétiseur émettait ce fluide du bout de ses doigts, en faisant avec les mains ces gestes ridicules qu’on appelle des passes, et que ce fluide était l’agent qui endormait la personne en expérience. Braid montra que le somnambulisme est le résultat de manœuvres moins singulières, et il y a un moyen qu’il a beaucoup préconisé : la fixation du regard. Il suffit, à ce qu’il a montré, d’arrêter le regard du sujet sur un objet brillant pendant plusieurs minutes pour amener le sommeil artificiel. Voilà, ce nous semble, la grande découverte qui fait l’honneur de Braid.

Cette découverte, on peut bien le dire, maintenant qu’elle a produit ses heureux effets, a eu le tort de faire perdre de vue l’action morale de l’homme sur l’homme, qui est au fond de toute expérience hypnotique. Sur ce point, les preuves abondent ; les expérimentateurs peuvent se rendre maîtres de la pensée de leurs sujets sans recourir à un agent physique, et en employant un seul moyen : la parole, la causerie, c’est-à-dire l’autorité morale. On connaît aujourd’hui d’une manière assez précise tous les