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des plus anciennes et des plus glorieuses familles de l’Italie. À tort ou à raison, il est persuadé que les Buonarroti descendent de l’illustre maison de Canossa, de cette grande comtesse Mathilde, « souveraine, dit Condivi, — et évidemment sous la dictée du maître, — souveraine de Mantoue, de Lucques, de Parme, de Reggio et de cette partie de la Toscane qui, aujourd’hui, s’appelle le patrimoine de saint Pierre. » Il conservera soigneusement dans ses archives la lettre par laquelle le comte Alexandre de Canossa à Bianello confirmait, en 1520, cette parenté à l’artiste devenu célèbre ; il prendra pour armes, dans son blason, un chien rongeant un os (canis ossa), et emploiera invariablement toutes ses épargnes à l’achat de terres en Toscane : le désir de rendre l’antique éclat à sa famille déchue par les vicissitudes du temps est un des traits remarquables, aussi humain que touchant, de sa longue et laborieuse carrière. Me tromperais-je en attribuant à cette situation réciproque de Buonarroti et du Rovere la plupart des frasques et des bourrasques qui, de temps en temps, signalent les rapports tellement singuliers entre le pape et l’artiste ? De temps en temps, le pauvre homme de génie se rappelait peut-être qu’il était aussi homme de qualité et de grande maison, que son aïeule, la comtesse Mathilde, avait fait don aux papes de leur patrimoine actuel.

Il a trente-trois ans au moment de franchir le seuil de cette Sixtine qui le rendra immortel. Il est petit de taille, trapu, d’une complexion frêle, mais endurante ; il est gaucher et a une tête énorme. La barbe longue, les cheveux abondans et légèrement bouclés, les pommettes saillantes et le nez écrasé par le coup brutal de Torrigiano, donnent à sa physionomie une expression étrange et quelque peu hirsute ; mais le front est large et beau, et le regard d’une mélancolie profonde, fascinante. Tel il apparaît encore, — beaucoup plus âgé seulement, et le front sillonné de rides, — dans le portrait conservé à la Pinacothèque du Capitole, et qui est attribué à Marcello Venusti[1]. Il est étonnant, du reste, qu’aucun des maîtres renommés de l’époque n’ait songé à reproduire par le pinceau les traits de Buonarroti. L’œuvre de Raphaël, dans l’ensemble de ses fresques et tableaux, nous présente une galerie presque complète de tous les personnages qui ont marqué à Rome du temps de Santi : — Jules II, Léon X et le futur pape Clément VII ; François-Marie, duc d’Urbino, Giuliano de Medici, duc de Nemours, Castiglione, Bibbiena, Bindo Altoviti et Inghirami ; l’Arioste,

  1. Salle IV, n° 134 ; la peinture est très retouchée. Le Capitole possède aussi un admirable buste en bronze, probablement d’après le modèle exécuté par Daniele da Volterra lors de la mort de Michel-Ange. Le même Volterra a donné les traits de Michel-Ange à une figure d’apôtre dans son tableau de l’Assomption à San-Trinita de Monti (3e chapelle) : l’apôtre du premier plan à droite, adossé à un pilier.