Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loi invariable en Espagne ! Les dernières Cortès étaient l’œuvre du ministère conservateur de M. Canovas del Castillo, qui n’a même pas pu vivre avec elles, qui a péri par les divisions de son propre parti. M. Sagasta, en arrivant aux affaires, était nécessairement conduit à se faire son parlement, sa majorité, — et de fait, depuis son retour au pouvoir, il s’y préparait en chef de gouvernement, qui n’en est pas à sa première campagne d’élections. C’était surtout la tâche du ministre de l’intérieur, M. Gonzalès, qui n’a fait après tout que ce que ses prédécesseurs ont fait avant lui et ce que feront après lui ses successeurs. C’est peut-être, il est vrai, devenu un peu plus difficile avec le suffrage universel qui n’en est encore qu’à ses débuts au-delà des Pyrénées, qui est appliqué aujourd’hui pour la seconde fois. Le ministère libéral, dans tous les cas, n’a rien négligé pour diriger à son profit cette seconde expérience du suffrage universel, en continuant les vieilles traditions de patronage électoral. Comme cela arrive toujours en Espagne, il a fait ses distributions de candidatures, en ayant soin de ménager les diverses nuances qui forment la majorité ministérielle, en faisant aussi la part des oppositions. Tout avait été réglé, et en définitive les élections se sont faites sans autre accident que quelques échauffourées dans le midi ou à Barcelone. On ne peut pas dire d’ailleurs que la population ait mis beaucoup d’empressement à aller au scrutin. Une bonne moitié des électeurs s’est abstenue.

Telles qu’elles sont, dans leur ensemble, ces élections sont à peu près conformes au programme et répondent à ce qu’on attendait. Le ministère libéral a sa majorité, une majorité considérable, quoiqu’un peu bigarrée ! Les conservateurs, ceux qui restent attachés à la fortune de M. Canovas et ceux qui ont suivi M. Silvela dans sa dissidence, auront de 70 à 80 voix. Les carlistes ont, eux aussi, quelques élus, un petit nombre. Il y a cependant un point où le scrutin paraît avoir trompé toutes les prévisions. Les républicains ont eu évidemment plus d’avantages qu’on ne le croyait. Ils comptent près de trente élus, sans compter M. Castelar et ses amis qui, à la vérité, sont des alliés pour le ministère. Les irréconciliables, les anciens chefs de la république, M. Salmeron, M. Pi y Margall, M. Ruiz Zorrilla lui-même, quoique exilé, sont nommés, — et, chose curieuse, c’est à Madrid même que les républicains les plus radicaux ont eu leur plus éclatant succès. Le fait est qu’ils ont eu à Madrid six élections sur huit. C’est certainement dans ces élections espagnoles l’incident le plus caractéristique, le plus inattendu, ce qui a le plus vivement frappé l’opinion. Les conservateurs alarmés ont attribué cette sorte d’échec de la monarchie à la complicité ou à la négligence des libéraux, du gouvernement. Les libéraux eux-mêmes s’en sont émus, au point qu’on a parlé de la démission du gouverneur et de l’alcade de Madrid. On ne s’attendait pas à ce coup de théâtre ! Il ne faut pourtant rien grossir. Ce succès des républicains a