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de catastrophes et de prodiges interceptait pour ainsi dire le passé et avait fait de l’exécution d’un roi une tragédie presque unique et mystérieuse ; l’événement de juillet prouvait qu’on pouvait toujours découronner une dynastie par un décret d’exil, que la dépossession des rois entrait, selon le mot de Chateaubriand, dans le droit public. La tradition révolutionnaire était renouée pour ne plus s’interrompre !

Au moment où tout se décidait à Paris, M. de Falloux était à Aix, en Savoie, parcourant en jeune homme curieux et avide d’impressions les sites alpestres, la gracieuse vallée de Chambéry, le lac du Bourget, voyant pour la première fois M. de Lamartine, rencontrant au cours de ses promenades le vieux roi Charles-Félix et la vieille reine de Sardaigne assis dans un pré sous un parasol à Haute-Combe. Le bruit des événemens de Paris allait retentir brusquement à Aix et soulever une indicible émotion. Je ne sais trop si tout s’est bien passé, comme l’a cru et comme l’a dit M. de Falloux un demi-siècle après, si dans cette jeune tête s’agitaient déjà même « confusément » tous ces problèmes dont il parle. Quelle était la part des provoqués et des provocateurs dans ce combat si tristement engagé ? Où devait s’arrêter l’insurrection ? N’aurait-il pas mieux valu que la droite s’effarouchât moins de la liberté, que la gauche contînt mieux ses impatiences et ses emportemens, que tout finît par la royauté du jeune prince qui n’était encore que le duc de Bordeaux, sous une régence éclairée ? Ce sont des raisonnemens qu’on fait avec les années, après bien d’autres expériences et bien d’autres mécomptes. Le premier mouvement de M. de Falloux, ému de la catastrophe, avait été du moins de vouloir courir en Anjou, où il supposait que la résistance devait s’organiser, qu’un centre d’action royaliste pouvait se former, que l’esprit vendéen allait se réveiller. Son père, en homme plus mûr et plus prévoyant, s’était prudemment hâté de tempérer ce premier mouvement de chevalerie, de contenir cette jeune impétuosité digne d’un fidèle des Stuarts. Les événemens n’allaient pas tarder à justifier la prudence du père et à calmer l’ardeur du fils. Il n’y avait pas de résistance ! Il n’y avait pas de guerre au nom du roi ! Il n’y avait plus de Vendée ! Il ne devait y avoir tout au plus que l’échauffourée d’une princesse au cœur chaud et à la tête légère qui avait son aventure à la Walter Scott ! Tout était fini !

Tout du moins avait changé de face par le coup de foudre de juillet. Au fond, vue dans le lointain du siècle, à la lumière de tout ce qui s’est passé depuis, cette révolution de 1830, qui s’est perdue dans tant d’autres révolutions, a été et est restée une profonde coupure dans la vie morale et politique de la France. Elle creusait un abîme entre le camp de la monarchie vaincue et le