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camp d’une monarchie nouvelle. Elle n’atteignait pas seulement ceux qui servaient depuis quinze ans la restauration, qui s’étaient compromis pour elle et allaient disparaître avec elle ; elle atteignait aussi ceux qui auraient pu bientôt la servir, qui formaient déjà ce qu’on pourrait appeler la jeune garde d’un nouveau règne et qui se voyaient arrêtés au seuil des carrières publiques. M. de Falloux lui-même, à la faveur de vieux souvenirs, des relations anciennes de sa grand’mère, Mme de Coucy, avec la duchesse de Polignac, la favorite de l’infortunée reine Marie-Antoinette, avait dû un instant entrer dans la diplomatie sous le dernier et fatal ministère du vieux roi Charles X. Il se trouvait brusquement déçu dans ses espérances, rejeté parmi les vaincus du jour ; il était, lui aussi, de ceux qui, par honneur ou par esprit de famille, se croyaient obligés d’enchaîner leur jeunesse à la dynastie déchue, et qui, avec leurs chefs, les Chateaubriand, les Hyde de Neuville, les Berryer, les Fitz-James, les Valmy, ont représenté toutes les nuances de la dissidence légitimiste sous la monarchie de juillet.

Ils n’émigraient pas, tous ces vaincus du moment, personne n’émigrait. Ce n’était plus le temps des émigrations et des Vendées prêtes à prendre feu. Ils se réfugiaient dans leurs terres ou dans leurs salons, dans leurs regrets et dans leurs illusions, mettant une sorte de point d’honneur à rester étrangers au régime nouveau. Ils se livraient aux frondes mondaines, à la petite guerre de bons mots et d’épigrammes contre le roi Louis-Philippe qu’ils n’appelaient jamais que M. le duc d’Orléans, contre les jeunes princes qu’ils affublaient de sobriquets ridicules, contre les ministres, contre tout ce qui représentait « l’usurpation. » Ils croyaient servir leur cause en faisant d’une opposition boudeuse et dégoûtée une politique. Ils ne conspiraient pas, ou, si l’on veut, ils ne conspiraient tout au plus que par leur fortune, par leur position sociale, par une fidélité assez platonique à la royauté exilée, par les liens qu’ils gardaient toujours avec Prague, Goritz ou Frohsdorf, par un goût un peu puéril pour des manifestations ou des pèlerinages sans péril et sans profit. Leur malheur était de ne représenter qu’une force perdue et impuissante. Ce n’est qu’avec le temps qu’ils commençaient à voir que la bouderie et l’abstention ne servaient à rien, que décidément la monarchie de 1830 s’affermissait, que le meilleur moyen de servir leur cause était de rentrer dans l’action, de se mêler aux affaires du pays, fût-ce sous un régime qu’ils n’aimaient pas. Ils avaient devant les yeux l’exemple excitant et réconfortant d’un Berryer qui pas un instant n’avait quitté le parlement, qui ne cessait de servir sa foi de sa généreuse et puissante parole, par sa libérale discussion de tous les intérêts