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de la France. Il est vrai que Berryer lui-même était souvent traité de suspect entre royalistes raffinés.

C’est l’originalité de M. de Falloux d’avoir représenté mieux que tout autre, dès sa jeunesse, cette double phase du légitimisme français sous la monarchie de juillet. Bien que rattaché tout d’abord au camp des vaincus, c’était un vaincu à sa manière. Ce n’est pas pour rien qu’il avait voulu être diplomate. Il avait le goût et presque le génie de la diplomatie dans les plus simples affaires. Par un instinct pratique prématuré et par un esprit compréhensif, il était fait pour les conciliations et les fusions. — Il ne s’en défend pas, il l’avoue : il se mêlait aux frondes royalistes, aux guerres de salons contre la dynastie nouvelle ; mais il se hâte d’ajouter qu’il fut toujours choqué des polémiques injurieuses, et il se rend la justice qu’il ne « perdit jamais le respect pour la vieille maison de France. » Pour rien au monde, c’est lui qui le dit, il n’aurait mis le pied dans une société orléaniste ; mais il y avait des accommodemens, ce qu’il appelle, par un heureux euphémisme, « des perspectives de ce côté. » Il y avait des salons « neutres, » comme celui de l’ambassadrice d’Autriche, l’aimable comtesse Apponyi, où « toutes les opinions se rencontraient sans se heurter, » où l’on avait l’occasion de s’assurer sans déplaisir que M. le duc d’Orléans, M. le duc de Nemours, qui se montraient des plus assidus à ces soirées cosmopolites, étaient des « princes fort courtois et fort brillans. » Il se mettait aux ordres du vieux marquis de Coislin, un des chefs des mouvemens de l’ouest, s’il devait y avoir quelque prise d’armes ; mais il convient que les échauffourées, même celle de Mme la duchesse de Berry, étaient des aventures plus chevaleresques que sérieuses, qu’elles ne répondaient plus aux sentimens de la vraie Vendée.

Enfin ce jeune royaliste au jugement précoce ne fait aucune difficulté d’avouer qu’à son retour à Paris, au lendemain des événemens, il lui avait été démontré « que l’insurrection de juillet avait intronisé un gouvernement et développé un ordre d’idées avec lequel il faudrait compter tout autrement qu’il ne l’avait supposé d’abord. » Il passait son temps à mettre d’accord son dévouaient qui le rattachait aux Bourbons déchus, à la royauté de l’exil, et sa raison qui ne restait pas insensible à la puissance, à la signification des choses. Bref, en gardant sa fidélité au passé, il ne se défendait ni des influences, ni des idées du temps, et il ne s’interdisait pas l’avenir. Il avait par son âge le privilège de pouvoir attendre ! Il avait le goût de s’instruire en attendant, et n’ayant pour le moment rien de mieux à faire, il se dédommageait de l’inaction que ses liens de parti lui imposaient par les voyages, par les