Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/516

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le moment était venu de sortir des équivoques et d’entrer dans le mouvement de la France, qu’il fallait dire « ce qu’on voulait, ce qu’on représentait, ce qu’on avait à offrir au pays comme une réparation du passé et une sauvegarde pour l’avenir. » il se faisait dans cette œuvre le lieutenant volontaire de Berryer en attendant d’être son allié et son émule sur la scène publique.

Allons plus loin. M. de Falloux, avec son activité très vive, faisait déjà son rêve, — son premier rêve de fusion ! Lié au catholicisme militant représenté par Montalembert et au légitimisme parlementaire représenté par Berryer, il rêvait une entente nouvelle, une alliance de nécessité et de raison entre ces deux causes, « l’une plus exclusivement religieuse, l’autre plus exclusivement politique. » En interrogeant l’état de la société française, il se disait que les hommes jeunes, indépendans envers le passé, envers le présent, devaient se proposer de rapprocher ces deux forces qui s’accusaient mutuellement de leurs disgrâces : « Et, ajoute-t-il, à mesure que j’avançais dans la vie pratique, je m’appliquais davantage à servir de trait d’union entre M. Berryer et M. de Montalembert. » Il se peint tout entier dans ce vœu, et de fait il devait être un médiateur heureux, — à la vérité dans des conditions qu’on ne prévoyait pas alors.

Au fond, c’était sans doute un catholique, c’était aussi un légitimiste ; mais c’était surtout un politique d’instinct et de vocation, — un politique délié, instruit, libre de préjugés, séduisant de manières et de parole, habile à manier les affaires et les hommes. Il se sentait mûr pour l’action, et dès 1842, dépassant à peine sa trentième année, l’âge de l’éligibilité, il avait été candidat à la députation dans son pays de Segré, il avait touché presque au succès[1]. Aux élections de 1846, à trente-quatre ans, il était élu, en plein ministère Guizot, en plein éclat, au moins apparent, de la monarchie de juillet. Il entrait à la chambre dans une sorte de poussée nouvelle, non-seulement avec quelques légitimistes qui venaient avec lui grossir le petit bataillon de Berryer, mais avec de jeunes conservateurs qui s’appelaient « progressistes : » le jeune

  1. On ne peut pas toujours se fier à la fidélité des souvenirs de M. de Falloux dans le détail des faits. Il est aisé de voir qu’il écrivait souvent un peu à la légère, au hasard de la mémoire. Il dit par exemple à propos de sa candidature de 1842 : « On était sous le ministère de M. Guizot, successeur de M. Mole après la coalition et déjà en lutte ardente avec M. Thiers, revenu de sa courte ambassade à Londres… » Autant de mots, autant d’inexactitudes. M. Guizot n’était pas le successeur de M. Molé ; entre le cabinet de M. Molé et le cabinet de M. Guizot, il y avait eu deux ministères. M. Thiers n’avait pas pu revenir de l’ambassade de Londres, où il n’était jamais allé ; c’est M Guizot qui avait été envoyé par M. Thiers, président du conseil, comme ambassadeur à Londres, — et qui était revenu pour remplacer son chef au ministère, le 29 octobre 1840. On trouverait bien d’autres inexactitudes de détail.