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poésies platoniques, — composées presque toutes au déclin de la vie, negli anni assai ; — pour moi, ce qui me trappe dans sa poésie, dans sa correspondance, dans tout son œuvre, c’est de n’y trouver ni mention, ni reflet des auteurs enjoués et badins si en vogue alors, rien qui rappelle Pulci, l’Arioste ou Boccace ; sa lecture favorite, à lui, ce sont les sermons de Savonarole, le poema sacro de Dante, la Bible, l’Ancien-Testament surtout, dont les héros imposans et farouches fascinent son imagination. Gentilhomme, « noble comme qui que ce soit à Florence, » il ne recherche pas les cours princières ; mais il a en horreur aussi la bottega, et non moins en horreur la bohème, s’il est permis d’employer une telle expression en parlant du XVIe siècle. Le zèle de sa maison le dévore : c’est pour la relever qu’il travaille, qu’il tient à être exactement payé et voudrait même « posséder des richesses ; » ses besoins et ses plaisirs personnels sont des plus simples, des plus sommaires. Il n’a pas l’humeur vagabonde d’un Léonard, d’un Pérugin ou d’un Andréa Sansovino, — ce n’est que dans un moment de désespoir, dans un accès de découragement, qu’il formera le projet de Constantinople ou de Paris, pour l’abandonner aussitôt : — ses deux pôles d’attraction restent toujours Florence et Rome, la ville natale qu’il aime en patriote et la ville éternelle qui seule peut lui offrir un champ assez vaste pour ses conceptions gigantesques. Famille, patrie, liberté, honneur, ne sont pas de vains mots pour lui : ils font vibrer tout son être moral, mais le déchirent aussi au milieu des contradictions inéluctables de la vie, et les déchiremens deviendront de plus en plus tragiques à mesure que grandiront les contradictions. Profondément religieux, il a cette soif de l’infini qui est le tourment ainsi que la noblesse des âmes d’élite et les graves problèmes de l’existence, de la création, de la justice et du salut, le préoccupent comme pas un de ses émules et rivaux, j’ose dire comme pas un de ses contemporains en Italie. Il est le Pensieroso de la renaissance.

Dans sa vocation d’artiste, il apporte à tout ce qu’il entreprend, ou seulement essaie, une énergie consciencieuse, un sérieux presque terrible. Et par exemple, ce naturalisme qui est la grande préoccupation du quattrocento, il le pratique tout autrement encore qu’un Donatello, un Uccello, un Pollajuolo, un Andréa del Gastagno : il pousse l’étude de la nature jusque dans ses coins les plus sombres et effrayans, il la poursuit au-delà des limites de la vie et jusque dans les ténèbres de la mort, jusque dans ces cadavres qu’il dissèque, pendant des années, à l’hospice du San-Spirito. Il en est de même pour l’antiquité, dont les modèles de plus en plus connus et appréciés sollicitent les talens du XVe siècle. Michel-Ange ne se borne pas à emprunter seulement à cette antiquité certains détails de