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Si j’ose pourtant ne pas me ranger à une opinion très en faveur aujourd’hui, c’est que les productions sorties des mains du jeune Buonarroti à Bologne même, en 1494, ou immédiatement après à Florence[1], ne me semblent encore en rien dénoter ce changement de style qui, en revanche, devient manifeste à partir de l’époque romaine. Je suis loin de nier l’influence et les fortes réminiscences même du vieux sculpteur siennois dans l’œuvre de Michel-Ange ; mais (à part peut-être quelques détails de draperie et d’ajustement) elles n’éclatent véritablement, je pense, que depuis la voûte de la Sixtine, après le second séjour de Bologne, celui de l’année 1507, séjour tout autrement prolongé et marquant, pendant lequel fut élaborée la statue en bronze de Jules II. Certains grands côtés des anciens maîtres toscans (non-seulement de Jacopo, mais de Donatello aussi et de Ghiberti), passés d’abord inaperçus par l’élève de Bertoldo, furent, dans la suite, nombre même d’années après, mieux sentis et assimilés par l’artiste avancé dans l’âge et dont le champ visuel s’était prodigieusement élargi sur les bords du Tibre ; mais c’est de ces bords, il faut hardiment l’affirmer, que sont venues l’impulsion décisive et l’initiation en toutes choses. Pour le génie de Michel-Ange, comme pour celui de Bramante et de Raphaël, la cité éternelle a été la suprême révélatrice et la vraie Alma parens : « S’étonner, — écrira le vieux Buonarroti lui-même près de quarante ans plus tard, — s’étonner que Rome produise des hommes divins, autant vaut s’étonner que Dieu fasse des miracles ! .. » Il adressera ces paroles emphatiques, bien improprement, il est vrai, au fameux ser Tommao de’ Cavalieri ; mais on ne se trompera guère en les appliquant à l’architecte de Saint-Pierre, au peintre de la Dispute et au sculpteur de la Pietà.

Parmi les chefs-d’œuvre anciens que le jeune Buonarroti connut dès ce premier séjour à Rome, nous pouvons maintenant nommer avec certitude la radieuse statue du fils de Latone, qui tient encore aujourd’hui la place d’honneur au Vatican[2]. Découverte quelques

  1. L’Ange au candélabre et San-Petronio à Bologne ; le Satyre dans le groupe antique restauré (Bacchus et Satyre) des Uffizi ; le Giovannino (beaucoup contesté, du reste) du musée de Berlin. Quant à l’Adonis du Bargello, il n’est pas douteux pour moi qu’il appartient à une époque bien postérieure : sa pose tourmentée est identiquement la même qu’on voit aux provinces foulées aux pieds par les Victoires, dans le dessin des Uffizi pour le tombeau de Jules II. M. Heath Wilson affirme même (p. 31) que l’Adonis est en marbre de Saravezza, auquel cas la statue ne saurait être exécutée que beaucoup plus tard encore, l’exploitation des carrières de Saravezza n’ayant commencé qu’à partir de 1517.
  2. On était, jusque dans les derniers temps, très incertain quant à l’époque où fut trouvé l’Apollon (on la plaçait généralement vers 1500) ; lorsqu’une découverte faite à l’Escurial en 1887 par M. Justi, l’éminent biographe de Winckelmann et de Velasquez, est venue apporter une vive lumière. Il s’agît d’un cahier d’esquisses italien, composé vers 1491 et qui contient déjà le dessin de la statue de l’Apollon du Belvédère avec le bras gauche encore manquant et l’indication : nel orto di San-Petro-in-Vinchola. Tout porte à croire que l’Apollon fut trouvé sous le pontificat d’Innocent VIII (voir Jahrb d. deutsch. Archäolog. Institutes, V, 1890, article de M. Ad. Michaelis) ; et il n’est pas douteux maintenant que Michel-Ange l’a connu lors de son premier séjour à Rome et avant d’exécuter le groupe de la Pietà.