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artiste aussi, philosophe et courageuse, qui aimait à raisonner et savait conter, décidément railleuse et hostile aux pleurnicheries : voilà les parens de Mérimée, non pas tout ce qu’on sait d’eux, mais ce qu’il faut en savoir. Leurs dons sont ceux de leur fils ; d’eux à lui, ce n’est pas la nature qui diffère, c’est le degré.

L’enfant était né le 27 septembre 1803. Le monde était terriblement agité pendant ces années qui virent grandir le petit Prosper. Mais chez M. le secrétaire de l’École des Beaux-Arts, la grande question n’était pas de savoir ce qu’il adviendrait du blocus continental, comment finirait le duel de la papauté et de l’empire, et si Napoléon épouserait une Hapsbourg ou une Romanof, mais si l’on pouvait amener le bienheureux vernis de Cobal à cet état de limpidité cristalline où l’avaient connu les maîtres du XVe et du XVIe siècle. Rien de plus doux à imaginer que cet intérieur d’artistes bourgeois couvant leur fils unique et poursuivant de nobles et honnêtes besognes ; intérieur calme, plein de pensée et d’intelligence, sans luxe, mais abrité contre les intempéries de la vie. C’est là sans doute que Prosper Mérimée, à la fois nomade et casanier, prit cet amour profond, nostalgique, du home qui s’allie si bien à la passion des lointains voyages. Il resta fidèle non-seulement à sa ville, mais à son quartier. De logis en logis, rue Jacob, rue des Beaux-Arts, rue de Lille, il erra toute sa vie autour de cette école à laquelle s’attachaient ses premiers souvenirs.

Il avait cinq ou six ans quand sa mère fit son portrait. L’original est détruit, mais une amie de Mme Mérimée en fit une copie exacte, et M. Tourneux nous en a donné à son tour la reproduction. C’est un très intéressant visage d’enfant, entouré de longues boucles retombantes. Le front est superbe d’intelligence, le sourcil fier, l’œil aimant, la bouche moqueuse. Mais c’est déjà ce nez qui m’étonna d’abord en 1868. Que ces boucles soient coupées, que ces traits grossissent, qu’une expression de réserve défiante refroidisse cette physionomie ouverte, et il ne restera pas grand’chose de cette beauté enfantine qui nous plaît.

Ici se place, ou à peu près, l’anecdote contée par M. Taine, dans l’introduction des Lettres à une inconnue. Il la tenait die Sainte-Beuve, mais il l’a quelque peu altérée comme il arrive aux histoires que l’on écrit plusieurs années après les avoir entendu conter. La voici, narrée par Sainte-Beuve lui-même, qui l’avait recueillie des lèvres de Mme Mérimée : « Il avait cinq ans, il avait fait quelque petite faute. Sa mère, qui était occupée à peindre, le mit hors de l’atelier en pénitence et ferma la porte sur lui. À travers cette porte, l’enfant se mit à demander pardon, à promettre de ne plus recommencer, et il employait les tons les plus sérieux et les plus vrais. Elle ne lui répondait pas. Il fit tant qu’il ouvrit la porte ; et,