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saynète « extrêmement spirituelle, mais encore plus indévote. » L’auditoire était plus considérable ; dans le nombre, Charles de Rémusat, qui « parut très frappé du talent de son rival. » On admira « la sûreté, la hardiesse avec laquelle un écrivain si jeune peignait îles maladies du cœur humain. » On alla jusqu’à le plaindre ; « d’avoir su dépouiller les passions du charme des illusions qui les entourent ordinairement pour les réduire à la triste réalité. » Ce langage légèrement prudhommesque a sa valeur historique : Delécluze a écrit son livre d’après des notes prises au jour le jour. Il paraît, que Courier et Bertin l’aîné hochèrent la tête à certaines « horreurs » trop facilement acceptées. Mais les jeunes romantiques, ou soi-disant tels, « crurent leur cause gagnée en se voyant un si vigoureux champion. » Mérimée lut ses autres drames, dans des réunions successives ; il les relut chez Cerclet, où le succès fut unanime. Sautelet, qui fondait en ce moment une librairie avec Paulin, lança le prétendu Théâtre de Clara Gazul, avec un portrait de la célèbre comédienne espagnole. C’était l’auteur lui-même, en robe décolletée, d’après un dessin de Delécluze qui entrait avec bonhomie dans les folies de ses jeunes hôtes. Il est plaisant de voir sortir de dessous une mantille le gros nez de Mérimée et sa bouche aux sinuosités viriles. On adorait alors les supercheries littéraires, mises à la mode par Chatterton, Macpherson et Walter Scott ; cela entrait chez nous avec le reste de l’anglomanie. Cette fois l’incognito n’était guère sérieux ; pourtant quelques braves gens voulurent bien s’y tromper et on cita le mot d’un Espagnol qui avait dit : « Oui, la traduction n’est pas mal, mais qu’est-ce que vous diriez si vous connaissiez l’original ! » Ampère put écrire dans le Globe qu’un Shakspeare nous était né : cette énormité ne tua ni l’auteur du compliment, ni l’écrivain qui le reçut en plein visage. Le Théâtre de Clara Gazul n’était pas un succès de vente, malheureusement pour Sautelet ; mais c’était un succès de curiosité et de surprise.

Inès Mendo, l’Amour africain, une Femme est un diable, sont les pastiches d’un écolier hors ligne ; mais il y a une dose égale d’imitation et d’invention dans le Ciel et l’enfer, dans les Espagnols en Danemark. Le marquis de la Romana et son aide-de-camp Juan Diaz sont parfaitement Espagnols, de sentiment et d’expression. Ils ont l’emphase héroïque de leur nation ; ils haïssent à merveille les Français. L’amoureuse du drame, Mme de Coulanges, quoique Française, est Espagnole dans l’âme. Elle l’est par la spontanéité de ses sentimens comme par son ardente mélancolie. C’est une de ces créatures d’instinct qu’on ne peut ni former ni avilir, qui ne s’instruisent ni dans le bien, ni dans le mal. Si elle avait grandi à Paris, dans le milieu que l’on devine, où la vulgarité et la bassesse