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émouvantes, de riens tragiques, de puérilités et de stupidités qui font monter les larmes aux yeux. Voilà justement la psychologie qu’en ce moment on cherche, mais sans y avoir encore réussi, à faire passer sur notre scène. Avant Mérimée, elle ne s’était fait entrevoir que dans Clarisse Harlowe et dans les Lettres de la religieuse portugaise, ici enchifrenée de puritanisme, là affadie par la belle phraséologie d’un temps qui écrivait trop bien.

Les premières lettres à M. Albert Stapfer datent de 1825 et de 1826. Elles sont folâtres : j’emploie à dessein un mot suranné pour rendre une nuance de badinage à peu près perdue. Celui qui les a écrites a un peu de l’impertinence d’une jeune gloire poussée trop vite ; il a surtout l’animation, le mouvement d’esprit d’un homme qui voit beaucoup de monde, qui est « dans le train, » s’il y avait eu des trains en 1825. « Des nouvelles ? J’en ai mille, mais je n’ai ni le temps, ni la place de les conter. » Une lettre du 6 mai 1825 se termine ainsi : « Dites à tout le monde beaucoup de bien de votre très humble servante, Clara Gazul. » Il est enchanté de la Sontag et attend avec impatience le retour de la Pasta. Il a ce que nous appellerions des potins de coulisse sur une jeune artiste que le nonce du pape a aidée à rompre son engagement pour la marier. Il conte cela légèrement comme Voltaire eût conté l’histoire de Pimpette, enlevée par les jésuites.

Il se montrait beaucoup dans les salons. Il allait assidûment chez le peintre Gérard, où il se lia avec M. Thiers. Peut-être fréquentait-il chez les Aubernon, car il y avait déjà un salon Aubernon, plus politique que littéraire. Beyle le présenta à Mme Pasta ; Ampère le conduisit chez Mme  Récamier. On sait que cette dame portait jusqu’au génie l’art de ranger les chaises dans son salon, séparant l’empire de la légitimité, les libéraux des ultras et les classiques des romantiques par de petits couloirs mobiles, souverainement commodes pour les papillons en frac qui cherchaient une fleur de leur goût afin de s’y poser. Mérimée ne joua point de rôle actif dans les exhibitions littéraires de l’Abbaye-aux-Bois, où Delphine Gay alternait avec Talma, mais il se tenait si bien que Mme  Récamier eut un moment la pensée d’en faire un attaché d’ambassade. Il eut quelquefois l’honneur de faire ses commissions. En 1830, il écrivait à Victor Hugo et lui demandait deux « bonnets d’évêque » pour la première d’Hernani, en faveur de Mme  Récamier, « qui jouit d’une certaine influence dans un certain monde. » Il profita de l’occasion pour demander aussi une petite place au nom de M. Beyle, « qui paiera si c’est nécessaire[1]. »

David d’Angers, qui, un peu plus tard, fit le médaillon de

  1. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.