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verrières ? Est-ce que là-haut, dans cette profondeur ténébreuse et pourprée, l’âme ne s’épand pas, ne monte pas comme un Alléluia mystique, comme un hymne sacré de glorification ?

Architecture, musique, poésie lyrique, arabesque, il semble bien que les Arabes n’aient connu que les arts qui manifestent l’âme avec ses mouvemens tendres ou brusques, ses saccades et ses détentes. Ils ne sont pas sortis d’eux-mêmes pour regarder et comprendre les choses ; ils n’ont point participé à leur vie par sympathie, ils ne se sont pas intéressés à leurs formes fuyantes. Aujourd’hui encore, sous sa tente, le Bédouin écoute le poète ou le musicien de la tribu ; il ne s’est pas avisé de spéculer sur le cours des astres, de philosopher avec son ami en gardant son troupeau, de tracer des lignes sur le sable comme autrefois le Grec sur une plage, et de chercher leurs propriétés mathématiques. Probablement, le nomade est trop solitaire ; rien dans l’étendue morte du désert ne fait obstacle au développement de l’être intérieur, ne prend de force son attention, ne se dresse devant lui pour l’obliger à regarder et l’empêcher de sentir, pour s’opposer à ce moi qui se projette toujours au premier plan. De là peut-être le trait principal de la religion qu’ont inventée les Arabes, de cet islamisme dont le dieu volontaire n’a point de forme, dont le livre sacré ne contient point d’idées, qui s’empare pourtant de tout l’homme et le fanatise, si dénué de raisonnement que nos missionnaires le déclarent inattaquable au raisonnement et renoncent même à convertir, religion toute nue et toute simple, ardente et sèche, pleine de passion et vide de pensée, très analogue en cela au judaïsme et qui justement, comme le judaïsme au contact des Aryens d’Europe, s’est soudain transformée en pénétrant chez les Aryens de la Perse et de l’Inde, s’est chargée tout de suite de métaphysique, s’est dilatée presque jusqu’au panthéisme, s’est multipliée en sectes mystiques, a enfanté des drames et des théologies.


1er octobre.

Puisque c’est aujourd’hui samedi, profitons-en pour aller voir ce judaïsme et tâcher de pénétrer dans la synagogue qui complétera peut-être ce que vient de nous apprendre la mosquée d’Omar. C’est presque fini du bruissement intérieur des ruelles ténébreuses : même dans le bazar arabe, il n’y a que du silence. À voir la ville si vide un jour de sabbat, on se rend compte de ce qu’y sont les juifs ; le long terrier où ils grouillaient est vide : plus une seule face pâle, plus une tête à papillotes grasses, plus personne dans les rues. Mais de temps en temps, d’une fenêtre grillée, d’une chambre en saillie sur la rue, tombent des chants, et à travers les portes basses, au fond des cours, on distingue des groupes juifs,