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2 octobre.

Je marche depuis une heure, au hasard, un peu perdu dans le labyrinthe de Jérusalem, dans les ruelles étranglées qui descendent le long des collines saintes. Tout à l’heure, quelle impression de solitude et de silence sur le mont Sion à côté de la grande muraille crénelée qui se dresse dans la nuit ! Silence et solitude aussi dans la ville, mais moins effrayant parce que moins près des profondes vallées vides.

Au hasard, entre les vieux murs de chaux dont, çà et là, un lumignon éclaire la pâleur morte. À présent je dois être sur la pente du Golgotha. Ah ! voici les sombres couvens, avec leurs fenêtres grillées, leur air froid, fermé, hautain, où l’on sent pourtant la crainte et la défense. Et voici le misérable cul-de-sac qui sert de parvis au Saint-Sépulcre, la cour déserte où la vieille église franque se renfrogne, se rencogne pour rêver du passé, abandonnée dans la nuit.

Maintenant, par les ruelles arabes, sous les voûtes noires où quelquefois un lampion pénètre de son rayonnement triste la profondeur de Nombre. Pas une âme, pas un bruit… Est-il possible que cette ville soit habitée ? Et les arcades se suivent en files confuses, tristes, opprimantes comme un intérieur de caveau ; les ruelles montent, se croisent, descendent en petites marches disjointes, et leurs voûtes finissent en ogives qui s’ouvrent sur la nuit, sur les grands espaces de la nuit où flotte une mystérieuse poussière bleue.

On dirait là-bas des grattemens rapides de cordes, comme ces musiques d’insecte solitaire qui élargissent le silence. Cela vient d’en haut, maintenant, d’une terrasse. Qu’est-ce qui peut se passer sur ce toit ? Justement, en lace, une petite rue monte en escalier escarpé, et de là-haut mes yeux plongent sur le carré de lumière fumeuse que fait un petit café arabe posé sur la terrasse, adossé à un mur, — à droite et à gauche fermé de toiles, mais ouvert en face de moi. Des nattes, des tapis, des haillons forment un plafond sordide, un toit contre le soleil de la journée. Sur des escabeaux boiteux, quelques fumeurs méditant leurs narghilés et dont les vestes rouges, les culottes rayées font une note confuse de couleur, bien étrange après cette solitude et cette saisissante noirceur des rues.

Pauvre café-concert, — le seul de Jérusalem, — si perdu dans cette nuit où revient flotter l’âme du passé, où l’on sent peser sur soi la poussière de tant de siècles ! Pauvre gîte où les vivans d’aujourd’hui viennent chercher à l’abri d’une toile un peu de sécurité, un