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remarquable ! — avant la victoire, au moment pathétique de l’attaque… Est-ce bien le David de la Bible ? Le populaire de Florence ne l’a jamais désigné autrement que du nom d’il gigante ; un ancien l’eût certainement appelé l’Athlète ou le Gladiateur.

Dans le Bacchus et le Cupidon, exécutés encore à Rome pour Jacopo Galli, et tous les deux d’une originalité si bizarre ; dans l’Adonis du Bargello, dans l’ébauche hardie de Saint Mathieu de l’académie de Florence, ainsi que dans ce qui nous est rapporté du fameux carton de la Guerre de Pise, à jamais perdu, on reconnaît sans peine les mêmes traits de conception grandiose inspirée par les marbres de Rome : dans le projet de tombeau pour le pape Jules II, en 1505, la tendance est déjà tout à fait au démesuré et au titanique. Et ici il importe de noter une découverte mémorable qui eut lieu le 14 janvier 1506, pendant que Michel-Ange travaillait au mausolée dans son studio près du Vatican, et que ses blocs de Carrare jonchaient la place de Saint-Pierre. Cette découverte fut un véritable événement dans le monde de la renaissance, et Buonarroti n’y demeura point étranger.

« J’étais enfant alors à Rome, — écrivait soixante ans plus tard Francesco da San-Gallo, le fils de l’architecte Giuliano, — lorsqu’un jour il fut mandé au pape qu’on avait déterré d’excellentes statues dans une vigne près l’église Santa-Maria-Maggiore. Le pape envoya immédiatement un palefrenier à Giuliano da San-Gallo pour lui dire d’aller voir ce qui en était. Michel-Ange Buonarroti était notre hôte assidu, et se trouvait juste à ce moment dans notre maison ; aussi mon père l’engagea-t-il à nous accompagner. Je montai en croupe derrière mon père, et c’est ainsi que nous nous sommes rendus sur les lieux indiqués. À peine qu’il fut descendu du cheval et eut jeté un regard sur les figures, mon père s’écria : c’est le Laocoon dont parle Pline. On procéda aussitôt à l’élargissement de la fosse pour en retirer les statues ; après les avoir bien examinées, nous sommes rentrés souper, en causant toujours de l’antiquité. »

Jamais monument ancien n’a produit autant d’émotion, soulevé autant de transports que ce groupe de marbre découvert dans la vigna de sette sale. « Tout Rome, écrit aussitôt Sabadino degli Arienti à Isabelle de Mantoue, — tout Rome, cardinaux et peuple, court jour et nuit à la vigna : on dirait un jubilé. » Une inscription tumulaire, qu’on lit encore aujourd’hui dans l’église Araceli au Capitole[1], promet « l’immortalité » à Felice de Fredis,

  1. Sur le pavé du transept à gauche, non loin de la chapelle de Sainte-Hélène.