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Graphia, Mirabilia, offraient au pèlerin les descriptions les plus fantastiques des endroits qu’il était venu visiter, faisaient briller devant ses yeux une Rome imaginaire, « une Rome vue au clair de lune, » aux lueurs d’une érudition et d’une poésie étrangement embrouillées et enfantines. Le bizarre, c’est qu’on continuait à lire avidement ces écrits, le regard attaché sur les lieux qui démentaient la description, et que l’imprimerie naissante multipliait les éditions de ces étranges guides à une époque où les grands travaux de Flavio Biondo avaient déjà mis les fondemens d’une astigraphie rationnelle et savante. J’ai vu de ces Mirabilia imprimés ici, encore en 1499, 1500, et même aussi tard qu’en 1511.

Qu’un esprit éveillé ait eu dès lors la pensée de publier enfin un guide moins absurde, des Mirabilia « corrigés de toutes ces fables ineptes (fabularum nugœ), » il n’y a là certes rien qui puisse étonner. L’originalité, le vrai mérite du bon chanoine Albertini, ç’a été de reconnaître qu’à côté de l’ancienne ville, tant célébrée par les descriptions précédentes, il en avait surgi depuis cinquante ans une toute nouvelle, également digne d’être connue. Le livre de Francesco Albertini porte le titre significatif : Opusculum de mirabilibus novœ et veteris urbis Romœ [1].

Il est dédié à Jules II, et le pape y est apostrophé directement et à tout propos : « Sixte IV a commencé la restauration de la ville ; ses successeurs se sont efforcés de l’imiter ; mais ta sainteté a dépassé en peu de temps Sixte, aussi bien que ceux qui sont venus après lui. » L’opuscule continue sur ce ton : involontairement on pense à ces Économies royales, où Sully se laisse raconter et ramentevoir par ses quatre secrétaires les faits et gestes de sa vie. Nous sommes encore aux temps heureux et faciles du règne, avant la grande tourmente de Cambrai et de la sainte ligue : le Rovere jouit en paix de ses victoires et conquêtes, et dans le chapitre consacré aux triomphateurs de l’antiquité (de nonnullis triumphantibus), notre auteur n’a garde d’oublier la fameuse entrée du pape dans la cité éternelle après la foudroyante campagne de Pérouse et de Bologne. Arrivé enfin à la troisième et dernière partie de son écrit, le chanoine passe en revue les monumens de la nova urbs : les églises et les chapelles ; les palais pontificaux, le Belvidere, le château d’Ange et la Monnaie ; les hôpitaux et les bibliothèques ; les portiques, les rues et les places ; les fontaines et les ponts (de fontibus et pontibus), etc. Chemin faisant, il note

  1. L’ouvrage a été composé de 1506 à 1509 ; la première édition connue est de 1510, Rome, Mazocchi. M. A. Schmarsow a publié, en 1886, une élégante et portative édition du troisième livre, celui qui traite de la Nova urbs.