Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous, vous n’êtes pas…

— Si ; je suis la même chiffonnière dégoûtante, qui faisait votre besogne, qui fourbissait chez vous, pas pour moi, coquine… mais pour acheter des médicamens à la pauvre madame que voilà… Elle manquait de tout pendant que vous jetiez par les fenêtres l’argent volé dans la poche des blancs !

— Chut ! parlez moins haut !

— Et la nuit dernière, à la fin, tout à la fin, entendez-vous, la musique du piano remplissait encore la rue et vos rires et votre tapage aussi ; alors la pauvre mamzelle…

— Mademoiselle Claire-Blanche ? répéta vaguement la quarteronne.

Betsy se méprit sur ce qu’elle voulait dire : — La dernière chose que j’ai promise à la madame, c’est que je veillerais sur mademoiselle autant que si j’étais son esclave achetée. Oui, et je vais le faire. Et je vous dis, négresse que vous êtes, avec tous vos beaux affîquets et votre effronterie, et vos sales péchés, qu’avant de parler seulement à cette enfant, avant de toucher au fin bout de sa robe, il faudra que vous me passiez sur le corps.

La figure inspirée de la négresse se rapprochait de plus en plus, placée entre Aza et le cercueil, un doigt tendu vers la porte. La quarteronne essaya de mettre dans un regard furibond toute sa rage muette, mais elle se sentit écrasée, malgré l’impudence dont elle avait coutume, et baissa les yeux, confondue.

Les visites ont cessé, un silence de prière règne autour de la morte que Betsy ne cesse d’éventer d’une main infatigable. Un peu avant l’heure de l’enterrement, toute la marmaille noire du voisinage se presse en foule sur le seuil de la chambre ; mais nul n’ose entrer, sauf la petite porteuse d’un paquet enveloppé de papier de soie ; l’infime créature jaune, demi-nue, dont les pieds s’accrochent au plancher comme des griffes de chat, tandis que ses yeux effarés expriment la peur d’un animal toujours traqué, toujours battu, traverse la chambre, se heurte à un obstacle et dans son effroi, déchire le papier d’où s’échappe et tombe autour de la morte une pluie de pétales d’oranger. Puis la porte claque derrière la messagère qui se sauve à toutes jambes, suivie de la bande déguenillée des négrillons. Ceux-ci ont rendu en reconnaissance instinctive la faveur que si longtemps on leur a faite. Ils ont emprunté aux orangers qui abritaient leurs jeux ces fleurs ramassées, malgré les coups et les adjurations de tous les habitans du quartier. Le petit tableau, en deux traits de cette plume chatoyante qui devient un pinceau entre les mains de miss King, est tout simplement délicieux.

D’autres visiteurs surviennent encore, des dames, des