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compromis, il a mieux aimé se jeter dans toutes sortes de diversions, chercher querelle à la droite, abuser de sa police, multiplier les expédiens et les ruses, au risque de tomber dans des pièges qu’il s’est créés quelquefois à lui-même par ses maladresses. Il est la première victime de petites tactiques qui n’étaient que le déguisement de ses embarras et qui le plus ont souvent tourné contre lui.

Non, en vérité, M. le président du conseil, avec ses procédés et ses mouvemens décousus, n’a pas été toujours heureux depuis quelque temps. Il a même été tout récemment deux fois malheureux dans la même journée, en intervenant à la chambre sans grand à-propos, en allant au-devant d’explications qu’on ne lui avait pas encore demandées et qui n’ont rien expliqué. Le chef du cabinet s’est interpellé lui-même au sujet d’un incident qu’il aurait voulu tenir secret et qui naturellement a bientôt couru les journaux. Il s’agissait de cette éternelle liste de « corruption » qu’on croit voir partout et qu’on ne peut, jamais saisir, de cette liste où il y aurait toute sorte de noms, — et à côté un « trou » à la place d’un nom demeuré inconnu. M. le président du conseil, qui se fie peut-être trop aisément à sa police et se laisse abuser, croyait savoir que le personnage inconnu avait été désigné dans le salon de Mme Cottu, dont le mari devait comparaître devant la justice. Il craignait que ce nom, qui n’était autre que celui de M. l’ambassadeur de Russie, ne fût prononcé dans une audience, — et alors, toujours mystérieusement, il entrait en négociation avec le bâtonnier de l’ordre des avocats, avec le défenseur de M. Cottu, pour éviter « dans un intérêt patriotique » un imprudent éclat de prétoire. M. le président du conseil avait cru bien faire, sans doute, il croyait bien faire encore en expliquant sa conduite ; mais d’abord était-il bien sûr de n’avoir pas agi un peu légèrement dans tout cela, de n’avoir point été la dupe de sa police, de ne s’être pas laissé abuser par un vieux bruit tombé de lui-même ? Où était la nécessité de reproduire cette vieille histoire à la tribune ? Il s’exposait à réveiller un incident déjà oublié, à raviver des bruits désobligeans pour M. l’ambassadeur de Russie et à se préparer à lui-même quelque difficulté diplomatique. De plus, M. le président du conseil, dans ses explications, a cru devoir prendre à partie le barreau qu’il a tout simplement accusé d’avoir manqué à ses devoirs de discrétion, et il s’est même permis de traiter d’assez haut ce qu’il a appelé les « mœurs nouvelles » du barreau. Il n’a réussi qu’à provoquer une verte et juste protestation du bâtonnier de l’ordre, M. du Buit, qui a nettement démontré que, s’il y avait eu de la légèreté, elle venait du ministre qui avait cru naïvement garder un secret livré à une foule de personnes. On ne peut pas dire que M. le président du conseil se soit bien tiré de tout cela, ni de l’incident diplomatique, ni de ses démêlés avec le barreau.

Le malheur de M. le président du conseil a été de ne pas savoir se