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tous les camps, la grande réserve de la société française. M. de Falloux était parfaitement sincère lorsqu’il disait à Angers : « Le présent est plein de magnifiques promesses et de périls inévitables. Penchons tous ensemble du côté des promesses ; pesons-y de tout notre poids et efforçons-nous ainsi de conjurer les périls. » Ce que serait l’avenir, « le destin futur de la république en Europe » et en France, il ne le savait pas, il ne voulait pas le savoir ; il était tout entier au présent, au péril, à la cause de la société française.

Et c’est ainsi qu’après être sorti trois mois avant par une révolution de la dernière chambre de la monarchie, il se retrouvait, élu de l’Anjou, dans la première assemblée du suffrage universel et de la république. Il revenait, dégagé du lien des partis, mûri par les événemens, tout prêt à être, dès les premiers jours du nouveau parlement souverain, au conseil et à l’action. Mme Swetchine, qui se plaisait à le suivre dans son essor, écrivait à Mme de Nesselrode : « Vous avez toujours témoigné de l’intérêt à M. X… (de Falloux) et vous aurez plaisir à le savoir justifié par une conduite qui se montre sage, élevée, prudente, courageuse en toute occasion et reconnue généralement pour telle. Il avait déjà conquis bien des suffrages flatteurs dans la dernière chambre de Louis-Philippe ; depuis la république qui, extérieurement du moins, défait les partis, ses mouvemens sont encore plus libres et plus aisés. Je suis convaincue que tout moment difficile trouverait en lui les qualités que devrait toujours faire supposer l’élection et que jusqu’ici, par tout pays, elle s’abstient fort de garantir[1]. » Il était, en effet, de ceux qui n’attendent qu’une occasion pour déployer tous leurs dons.

Par le fait, cette république de 1848, livrée dès sa naissance aux orages et destinée à périr trois ans après de mort violente dans une nuit d’hiver, cette république a plusieurs phases qui se succèdent et s’enchaînent. La première va du 24 février au 4 mai : c’est la phase du gouvernement provisoire, des manifestations autour de l’Hôtel de Ville, de la désorganisation encore à demi déguisée sous la magie de l’éloquence de Lamartine. La seconde va du 4 mai, jour de la réunion du parlement souverain, au 24 juin : c’est la phase où toutes les passions révolutionnaires, irritées par les déclamations de clubs, le chômage et la misère, se préparent, par l’assaut de l’assemblée elle-même, à la plus formidable convulsion civile, à la sanglante bataille de quatre jours dans Paris. La troisième va du 24 juin au 10 décembre : c’est la phase où la

  1. Lettres de Mme Swetchine. — Voir surtout la correspondance très suivie avec Mme de Nesselrode sur les affaires de France.