Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/753

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et à l’esprit souple, fait pour tous les succès de la politique et du monde, il y avait un gentilhomme rural attaché à son coin de terre. Tout ce qu’il avait d’ardeur, pendant ces années, il le mettait à reconstituer un domaine jusque-là morcelé et négligé, à se créer une vaste habitation simple et sévère, qu’il façonnait à son image, qu’il entourait de jardins et de pelouses, à faire du Bourg d’Iré un centre d’expériences agricoles, un modèle de culture savante et bienfaisante dans une région jadis ensanglantée et illustrée par les guerres vendéennes. Que dirai-je ? II devenait même éleveur, un éleveur d’élite, qui ne craignait pas d’aller aux concours de Poissy recevoir ses prix des mains de son ancien collègue, M. Rouher, ministre de l’empire[1]. Il se plaisait surtout à faire du Bourg d’Iré, régénéré et orné par ses soins, un asile de large et cordiale hospitalité où il recevait ses amis : et Lacordaire qui allait faire des cours familiers de culture avec les jardiniers, et Montalembert qui allait prononcer des discours à l’école voisine, et Berryer, et Augustin Cochin, et le prince Albert de Broglie, et l’Irlandais Monsell, lord Emly, — et aux grands jours Mme Swetchine elle-même qui tenait à voir son brillant ami, le fils de son adoption « spirituelle, » dans son domaine angevin. Cette vie de campagne, mêlée de visites qui étaient les fêtes du Bourg d’Iré, qui effarouchaient parfois les autorités impériales, M. de Falloux l’a décrite avec un art attachant dans des pages, — Dix ans d’agriculture, — d’où s’exhale le sentiment des réalités et des poésies rurales. Il y trouvait la paix, un moyen de servir sa contrée et le dédommagement des inconstances de la fortune.

Est-ce à dire que ce gentilhomme rural fût si absorbé dans le soin de sa terre et de ses étables qu’il se désintéressât des affaires publiques ou des cultures de l’esprit, des destinées et de l’avenir du pays ? Il l’aurait voulu qu’il ne l’aurait pas pu. Il avait le goût de l’activité et de l’influence sous toutes les formes. Il se rattachait au monde parisien par son élection à l’Académie, où il avait trouvé

  1. Au cours de ces années d’agriculture, M. de Falloux était allé conduire au concours de Poissy des bœufs dont l’un était couronné, et M. Rouher, qui présidait le concourt, qui avait d’ailleurs de la rondeur et de la bonhomie, lui dirait en riant : — « Vous l’avez bien mérité ! — Que voulez-vous dire ? reprenait M. de Falloux. — Eh ! oui ! lui disait M. Rouher, quand le jury a vu que le bœuf primé vous appartenait, il s’est mis en quête d’un autre animal à couronner, — et il s’est trouvé que cet autre animal qu’il a découvert était encore à vous… » — Il fallait déjà, sous l’Empire, des bœufs orthodoxes ! Cela s’est vu depuis sous d’autres régimes !