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ordre pour se prononcer, pour presser ses compatriotes de l’Anjou de rester au service du pays, » — et le jour où l’ordre de Frohsdorf arrivait, il l’accueillait un peu comme ces gentilshommes castillans qui, en recevant un ordre de leur roi, répondaient sans sourciller : « reçu et non exécuté, le tout pour le service de Sa Majesté ! » M. de Falloux admettait bien l’abstention comme une affaire d’honneur personnel pour les hommes les plus engagés par leur passé ou par leur position ; il se refusait à admettre comme une politique sérieuse et prévoyante cette sorte d’ilotisme volontaire au sein du pays par refus de serment. Est-ce que le serment, sous Louis-Philippe, avait empêché M. de Brézé, M. de Fitz-James, le duc de Noailles, Berryer, qui étaient l’honneur des chambres, de rester légitimistes ? — « Quoi donc ! disait-il, on pourrait nous accuser d’une bien grande inconséquence si, après être rentrés dans les carrières électives sous la république de Ledru-Rollin, nous reconnaissions à n’importe quel régime le privilège de nous en écarter. Nous avons défendu l’ordre avec tout le monde depuis 1848, malgré la forme du gouvernement, pourquoi cesserions-nous de le défendre aujourd’hui dans les mêmes positions ? .. Nous nous sommes placés au cœur de la France en 1848, et, quoi qu’il arrive, nous n’en devons plus sortir désormais… » Et ces idées, il les développait avec une infatigable verve d’esprit et de raison dans ses lettres à ses amis, jusque dans ses entrevues avec le prince auquel il résistait. C’est le conflit intime qui n’a cessé de s’agiter entre légitimistes, entre « l’ordre du roi » et les indépendans sous l’empire.

À dire vrai, rien n’était plus désagréable que ces résistances à M. le comte de Chambord, qui ne laissait échapper aucune occasion d’en exprimer son mécontentement : témoin le jour où, recevant un ami de M. de Falloux, M. de Rességuier, à Frohsdorf, il le traitait avec une certaine brusquerie, à peine déguisée sous la bonne grâce. M. de Rességuier était un de ces légitimistes qui restaient dans leurs conseils locaux, qui tenaient à y rester, parce qu’ils croyaient y faire le bien, et il défendait son droit avec une respectueuse liberté : « Oui, oui, répondait vivement le comte de Chambord, je sais que c’est la manière de voir de votre ami, M. de Falloux, je sais qu’il donne ce conseil, et je lui en sais très mauvais gré. » Vainement, M. de Rességuier invoquait son dévoûment, son désir de plaire au prince et de le servir en obéissant à sa conscience. « Ceux qui obéissent à mes ordres me servent mieux, » lui répondait-on. Et comme le visiteur français, en prenant congé, demandait s’il pourrait revoir a monseigneur » à Venise : « Oui, répliquait nettement le prince, si vous avez donné votre démission ; sinon, non ! » C’était clair. Une dernière fois,