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n’était plus rien. » Il répondait ce qu’il écrivait un jour à l’évêque d’Orléans : « Je n’ai pas de sacrifices à faire, je n’ai point de conditions à recevoir. J’attends peu de l’habileté des hommes et beaucoup de la justice de Dieu. » C’était son destin, il l’acceptait, et il l’a porté quarante années durant, sans craindre de compromettre sa cause par la candeur de sa foi, étranger aux complots, aux intrigues et aux aventures, respectant la paix intérieure de son pays, gardant dans son éloignement le culte de l’honneur de la France. Avec cela, il n’a pas régné, c’est vrai ; mais il est resté un personnage royal, le roi sans sceptre, relevant son infortune par sa dignité. Il a presque compté dans son exil parmi les têtes couronnées, et le jour où il allait rejoindre le vieil aïeul dans le couvent des franciscains de Goritz, enveloppé du drapeau auquel il n’avait pas voulu renoncer, il emportait avec lui, c’est fort à craindre, la vieille royauté française. Après lui la monarchie peut renaître sans doute dans un reflux de révolution ; mais ce serait une autre monarchie ressemblant plus ou moins, ainsi que le disait M. de Falloux en 1848, à une « présidence de république. » Ce ne sera plus l’ancienne monarchie française : celle-là a fini avec M. le comte de Chambord, à Goritz ; elle avait même déjà fini, si l’on veut, par la lettre du 27 octobre 18731 »

C’était l’impression universelle, instantanée à Versailles et à Paris, aussitôt que cette lettre de Salzbourg avait été connue. M. de Falloux, quant à lui, avait été mêlé depuis la première heure à ces négociations renouées avec l’exil dès le lendemain de la visite de M. le comte de Paris à Frohsdorf ; il les avait suivies de près dans ses conversations intimes et incessantes avec le duc de Broglie, avec quelques-uns des ministres du maréchal de Mac-Mahon, et dans la vivacité de sa confiance renaissante, il avait vu le succès déjà assuré ; il n’admettait plus un doute. « Comment voulez-vous, disait-il au duc de Broglie, qui n’avait pas son optimisme, comment voulez-vous que M. le comte de Chambord refuse quand on lui offre le trône non-seulement dans des conditions inespérées après son manifeste du 5 juillet 1871, mais dans les conditions les plus favorables qu’aucune restauration ait jamais rencontrées ? .. Si M. le comte de Chambord exigeait davantage, sa prétention dépasserait la limite de tous les aveuglemens connus… Jamais partie plus belle ne fut offerte ; jamais la couronne n’aurait été refusée dans des conditions plus absolument incompréhensibles ! » Une fois de plus, il avait cru trop vite et trop vivement à ce qu’il désirait. La lettre du 27 octobre le ramenait à la réalité, à l’éternel et cruel malentendu qui a été au fond de toutes les tentatives contemporaines de restauration monarchique. Elle était