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que tous abandonneraient leurs défrichemens. » Dix-huit d’entre eux obéirent ; il n’en resta qu’un seul u qui se mutina. » Son obstination lui coûta cher ; au moment de la révolution il a déjà été rendu contre lui trois ou quatre sentences et, depuis onze ans, « le procès se multiplie. »

De même l’ordonnance de 1764 sur l’assainissement des marais fut le prélude de litiges interminables entre les nus-propriétaires et les usagers : pour ne pas perdre quelques bottes de joncs, on s’opposait à des plus-values de 100,000 francs. Les difficultés suscitées à ces tentatives découragèrent bien des bonnes volontés. Et le plus curieux est que la révolution, qui remaniait l’ordre politique et social de fond en comble, n’ose heurter de front ces usages campagnards et paraît souvent s’y résigner. Le commissaire de la Convention dans l’Allier, envoyant en 1793 un rapport, d’ailleurs fort substantiel et sagace, sur l’état de son département, reconnaissait que « la plupart des paturaux communs, qui n’ont pas été concédés à des particuliers par les ci-devant princes de Condé, sont en landes et bruyères, » qu’il y en avait beaucoup trop, mais « qu’ils étaient nécessaires pour le pacage des bestiaux, et que, si l’on emblavait plus, on récolterait moins, faute de fumier. »

Notre temps a fait justice de ces craintes chimériques ; il a vu augmenter le nombre des bestiaux et diminuer celui des pâtures banales. De plus en plus celles-ci tendent à disparaître. Depuis vingt ans la superficie des biens communaux a décru de 100,000 hectares ; durant les cinquante dernières années elle a décru de 500,000 hectares. Des 4,300,000 hectares, cantonnés dans une douzaine de nos départemens, qui composent encore la propriété communale, la moitié est en bois, et il ne reste que 637,000 hectares d’absolument improductifs.

Que pouvait être la surface occupée par les biens de cette nature avant 1789 ? Il serait difficile de le dire ; beaucoup de communaux anciens ont été partagés ; mais aussi beaucoup de biens nationaux invendus, — biens d’église pour la plupart, puisque les biens d’émigrés non aliénés ont été remis par la Restauration à leurs anciens propriétaires, — ont été versés en bloc dans le patrimoine des communes. Une partie en est, depuis lors, définitivement sortie. Ces mouvemens en sens divers de la propriété foncière n’ont pas, que je sache, été notés : un fait certain, c’est que le mode de jouissance n’est plus le même. L’État administre les bois communaux comme les siens propres, avec une paternelle sévérité ; beaucoup de prairies sont louées par les municipalités, d’autres affouagées, et c’est seulement sur une petite portion de ces terrains qu’a subsisté « l’usage » communiste de jadis.