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Plus tard seulement la terre devint un luxe, parce qu’elle augmenta par rapport aux autres marchandises. Alors ceux des anciens exploitans qui, s’étant enrichis, étaient passés dans une classe plus élevée, louèrent leurs biens à de nouveaux-venus ; et ceux qui s’étaient appauvris, — beaucoup s’appauvrissaient forcément par les partages, — tombèrent dans la classe des prolétaires ruraux.

Depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à la fin de la monarchie, il y eut un mouvement de concentration, et la grande propriété se constitua. Dans un rayon de quelques lieues, en Berry, au XIVe siècle, on peut citer une vingtaine de seigneuries importantes, puisqu’elles ont juridiction sur 100 ou 150 censitaires, qui ne possèdent que 15 ou 20 hectares de domaine utile, appartenant réellement au seigneur. Au XVIIIe siècle, ces domaines ont quintuplé, décuplé ; Aubussay qui n’avait, en 1350, que 20 hectares, en a 580 en 1750 ; Verdeaux, qui n’en avait que 21, en a 175, Chevilly est passé de 30 à 460 hectares. À quelques mètres du donjon commençait, au temps féodal, la propriété roturière dont la division et la subdivision atteignaient un degré incroyable : telle prairie de 4 hectares était répartie en quarts et demi-quarts d’arpens, entre une cinquantaine de détenteurs. C’est l’excès du morcellement, la pulvérisation du sol, que certains auteurs redoutent pour l’avenir, mais que le moyen âge a connue. On marchait vers un régime où chacun aurait eu son sillon de labour, sa « fauchée » d’herbe, et ses deux douzaines de ceps de vigne.

Les inconvéniens s’en étaient fait sentir d’eux-mêmes. Comme l’a dit Benjamin Constant, le morcellement des terres s’arrêtera toujours au point au-delà duquel il deviendrait funeste. Il a raison, l’expérience le prouve. C’est ainsi que, de lui-même, le sol, dès la fin du XVIe siècle et surtout au XVIIe, redevint plus compact. Le parc des seigneurs de Blaru (Seine-et-Oise), qui en 1540 n’avait que 3 hectares et demi, comprenait, en 1677, 28 hectares, sans que l’ensemble du domaine eût augmenté. La terre de Vincy-Manœuvre, dont il n’existait presque plus rien à la fin du XVe siècle, se reconstitue au siècle suivant entre les mains des Nicolaï et des Dreux-Hennequin.

Il est probable aussi que l’avilissement subit de l’argent, de la fortune mobilière, de 1530 à 1600, favorisa beaucoup certains propriétaires fonciers qui possédaient des droits de rachat sur les immeubles aliénés. La terre de Maillebois (Eure-et-Loir) se forme ou, si l’on aime mieux, se reforme arpent par arpent, miette à miette, au temps de Louis XIII ; 100 laboureurs auparavant