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ici les céréales, là le bétail, ailleurs la vigne. Le cultivateur de quelques parcelles n’y récolte qu’une ou deux sortes de marchandises ; et, s’il tient à vendre celles-là le plus cher possible, il tient aussi à se procurer les autres, qu’il ne produit pas, au moindre prix.

Il en résulte que, si l’on demandait au suffrage universel de se prononcer séparément, par voie de plébiscite, sur l’établissement de chaque droit protecteur en particulier, il n’en serait voté aucun, parce que les consommateurs de chaque produit seraient toujours plus nombreux que les producteurs ; mais que, si la question vient devant un parlement, où les intérêts divergens peuvent se coaliser pour atteindre un but commun, on doit craindre que le soin mal entendu de ces intérêts n’amène les représentans du pays à opposer des barrières factices, à l’abaissement naturel du prix de la plupart des marchandises et à sacrifier ainsi la masse de la nation à une seule classe de citoyens.

L’influence du morcellement foncier sur la législation douanière est donc évidente, et un lait économique dont la démocratie semble se féliciter : la division de la propriété a pour conséquence un fait politique dont les vrais démocrates doivent s’affliger : le renchérissement de la vie. Il est clair en effet que, si la terre était entre les mains d’un petit nombre de possesseurs, leurs plaintes demeureraient sans écho sous un gouvernement d’opinion ; on ne s’inquiéterait que faiblement de voir baisser d’un quart, de moitié, ou même davantage, la rente de la terre, si cette baisse n’appauvrissait qu’une infime minorité de la nation ; tandis que, lorsqu’un tiers des électeurs se trouve intéressé à la prévenir, l’agitation organisée dans ce dessein, avec l’appui d’une aussi grande quantité de gens, est capable d’emporter, au moins pour un temps, le vote de mesures funestes.

En se tournant ainsi vers la puissance sociale qu’elle supplie de la protéger, l’agriculture pense-t-elle donc ne pouvoir s’aider elle-même ? Croit-elle qu’elle n’a plus aucun progrès à réaliser, et que le sol français, si on le laisse aux prises avec le sol russe, américain ou indien, est vaincu d’avance et va retourner en friche ? Qu’elle regarde en arrière, qu’elle consulte son histoire et, par ce qu’ont fait leurs devanciers, que les propriétaires d’aujourd’hui apprennent ce qu’ils pourront faire à leur tour. Depuis seulement cent cinquante ans, les procédés agricoles, les assolemens, les engrais, le matériel de ferme, ont été renouvelés de fond en comble ; et l’État n’a eu, dans cette transformation, qu’une action insignifiante, il y a joué le rôle le plus effacé.

Jusqu’au siècle dernier, l’assolement traditionnel demeure, dans