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Jusqu’alors les campagnards se contentaient trop, pour éviter certains accidens, de procédés moraux, assurément respectables, mais en somme insuffisans. Telle municipalité de Provence dépense 24 sous, en 1662, pour aller demander à Arles à son archevêque « la permission d’exorciser les chenilles et autres insectes qui gâtent les chênes blancs. » Ailleurs, on ne se borne pas à les exorciser, on les excommunie. Une commune sollicite encore, en 1737, un exorcisme « contre les poux qui mangent les millets ; » une autre obtient pouvoir, moyennant 12 sous, « d’excommunier les bestiaux qui mangeaient les légumes. » Ici on les excommunie même tous les ans, c’est une dépense ordinaire du budget ; en revanche, on fait bénir d’autres bestiaux et chanter des grand’ messes à leur intention. C’est le même esprit qui poussait, au XVe siècle, les paysans de Béarn à faire des menaces ou des sermens à saint Antoine de Navarrens quand les récoltes n’étaient pas rentrées à temps.


V

Sous le rapport des engrais, le progrès avait été presque nul jusqu’à la Révolution. Aussi bien celui qu’on a réalisé date d’hier, et encore n’est-il qu’à son aurore. Au XIIIe siècle, on n’était pas plus avancé à cet égard qu’au temps de Pline ou de Varron ; et au XVIIIe siècle, on n’avait rien découvert de nouveau depuis le XIIIe. Certains amendemens, comme la marne, dont on était très enthousiaste en 1200, semblaient plutôt dépréciés il y a cent et deux cents ans. Les communautés religieuses, dont les biens étaient le mieux administrés sous Louis XIV, prétendaient que la marne, plusieurs fois réitérée, forme un tuf qui nuit à la longue à la qualité des terres. Aux fumiers animaux, aux composts, s’ajoutaient selon les localités la chaux, le sablon ou tangue que les populations de l’ouest allaient librement extraire des grèves, au bord de la mer, et dont le gouvernement tenta, sous Louis XIII, de faire payer l’usage. Le fumier pourtant ne paraît pas cher : au XVe siècle, il varie de 0 fr. 75 les 1,000 kilogrammes aux environs de Sens, et de 0 fr. 60 à Gaillon (Seine-Inférieure) à 0 fr. 20 près de Soissons. Au XVIe siècle, il se vend encore moins d’un franc en Limousin. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le minimum, parmi les prix que j’ai recueillis, paraît être de 1 fr. 05 en Berry et le maximum de 3 fr. 25 à Bougival (Seine-et-Oise). Mais, dans l’état de la viabilité rurale, le transport devait le faire singulièrement renchérir ; il semble en tout cas que l’insuffisance des engrais ait été une entrave permanente pour l’agriculture.