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Il est assez curieux de trouver au début de ce passage où éclate l’emportement sauvage de la passion physique, cette forme d’exposition d’un fait singulier assez alexandrine. Ce qui n’est pas moins expressif, c’est ce cri de douleur que Simaetha laisse échapper, comme dans l’angoisse subite d’un élancement, au milieu de l’accomplissement d’un rite magique : « Hélas ! hélas ! cruel amour, pourquoi, attaché à moi comme une sangsue des marais, as-tu bu tout le noir sang de mon corps ? »

Sainte-Beuve a donc eu raison d’insister sur la violence et l’expression hardie de l’amour chez Simaetha ; peut-être n’a-t-il pas assez vu la grandeur de la peinture. Quoi de plus grand que ce mélange de l’émotion humaine avec les impressions de la nature : « Vois ; la mer se tait, les vents se taisent ; mais ne se taisent pas mes tourmens dans ma poitrine. Non, je brûle tout entière pour lui… » Voilà la première idée des vers célèbres d’Apollonius et de Virgile. Immédiatement auparavant, par un contraste qui ne pouvait échapper à Sainte-Beuve, le bruit de la cymbale répondait aux hurlemens des chiens. L’amante superstitieuse, les entendant tout à coup, interrompait une invocation à Hécate : « Thestylis, entends-tu ? .. La déesse est dans les carrefours : vite ! fais résonner l’airain. »

Cette idylle, qu’un monologue remplit tout entière, est un véritable drame, varié malgré la simplicité du sujet, et dont l’unité et le progrès sont produits par la marche naturelle des sentimens de l’unique personnage, sur qui tout est concentré. Les premiers mots font voir Simaetha agissante et émue : « Où sont les lauriers ? Apporte-les, Thestylis. Où sont les philtres ? Couronne le vase de laine empourprée, afin que j’enchaîne le cher amant qui me tourmente… » Et l’impression d’une nuit sereine et brillante, qui va dominer et ennoblir toute la scène, s’établit presque aussitôt : « Lune, brille d’une belle lumière, car c’est à toi, calme divinité, que s’adresseront nos chants, ainsi qu’à l’infernale Hécate, devant qui les chiens tremblent quand elle s’avance parmi les tombeaux et le sang noir des morts. » Les deux femmes, comme l’indique un mot, sont près de leur maison, qui sans doute est à une extrémité de la ville, presque déjà dans la campagne ; elles voient librement le ciel et la mer. Après l’invocation aux deux divinités, commencent les opérations magiques. C’est Simaetha qui décrit chacune d’elles par les ordres qu’elle donne à son esclave ou par les paroles dont elle accompagne chacun de ses actes.

On a pu voir quels mouvemens et quelles émotions varient la succession de ces rites. Chacun a sa place dans un groupe de quatre vers précédé et suivi par un vers d’incantation qui forme