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travaux de toutes natures et de toutes étendues, parmi lesquels la France n’est pas représentée : car on ne saurait tenir un grand compte des rapides esquisses de M. Gauilleur ou de M. Tissandier. Il est temps de rompre le silence, et de cesser d’ignorer chez nous que les explorations récentes ont enrichi la terre habitée d’un pays merveilleux.

Dès les premiers rapports des explorateurs, MM. Doane, Lang rd, Hayden, l’État s’est aussitôt saisi de ce pays qu’il ne se connaissait pas. Depuis le 1er mars 1872, un vote du congrès des États-Unis a réservé et déclaré propriété nationale toute la province qui entoure le lac de la Yellowstone, les bassins des geysers, les sources chaudes, les rivières Yellowstone, Gardner, Firehole, Missouri. Il est défendu de s’y fixer, d’y acheter des terrains, d’y chasser, d’y bâtir, d’emporter des souvenirs, de déranger la disposition naturelle des lieux : c’est la sauvagerie garantie, patentée par le parlement ; c’est la barbarie officiellement protégée, c’est l’entretien de l’inculte, et la religion de la nature. Quand un arbre tombe, on abat la portion qui obstrue la route, et on laisse les tronçons pourrir à leur place. Car une route facilite l’accès de ce maquis, où les elques et les castors dorment en liberté.

Malgré la distance, qui épouvante nos habitudes européennes, vous n’hésiterez pas à monter dans le « Nord-Pacifique, » qui relie New-York à San-Francisco. Le Yellowstone-Park est sur le trajet de l’un à l’autre Océan.

De Chicago, la durée du voyage, sans arrêts, est de quarante-huit heures, qui passent fort agréablement, et parce que les trains sont confortables et pittoresques, et parce qu’il n’y a aucune ville importante sur le parcours, sauf Saint-Paul-Minneapolis. Ce sont les grandes capitales qui allongent les voyages. Ici, les bourgades comptent chacune quelques cabanes en planches, et n’ont de séduisant que leurs noms : Sycomore, Byron, Saint-Cloud (buffet), Bismarck, un pauvre village ; New-Salem, Glendive. Le touriste traverse à toute vapeur, assis sur la plate-forme découverte à l’arrière du train, tantôt des gorges rocailleuses aux tons d’or et de vermillon, tantôt des sables ondulés, tantôt des landes arides, où les étincelles de la locomotive mettent le feu aux herbes desséchées et aux arbres.

Enfin, un matin, la machine stoppe à un point de jonction qu’on appelle Livingstone, une bourgade toute jeune, et déjà prospère. Le convoi qui vient de l’Atlantique y croise celui qui vient du Pacifique. Une cheville d’or est scellée dans le rail, au point où les ouvriers soudèrent les deux tronçons de la voie en construction : ce fut comme la fusion des deux océans et des deux hémisphères.