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théâtre ancien. Mais comment se fait-il qu’en se nommant, Gyllis, au lieu de rappeler ce titre, sa meilleure recommandation, se présente comme la mère de Philaenium ? Il semble plus probable qu’elle est simplement la mère d’une amie de Métricha, et l’on pourrait craindre qu’elle n’ait pas donné à sa fille la meilleure direction, si l’on en jugeait par ce qu’elle vient faire elle-même en ce moment.

Ses paroles, sous une forme un peu vulgaire, ne manquent pas d’habileté. Elle insiste d’abord sur l’état d’abandon où l’absence prolongée de son mari laisse Métricha : « Depuis combien de temps restes-tu ainsi veuve, mon enfant, fatiguant seule la couche commune ? Voilà déjà dix mois que Mandris est parti pour l’Egypte, et il ne t’envoie pas une lettre d’écriture ; il t’oublie et boit à une nouvelle source. » Vient alors une énumération où s’accumulent, en partie à la gloire des souverains, qu’Hérondas, à l’exemple de Théocrite, ne perd pas cette occasion de louer, toutes les séductions de l’Egypte. Il y en a, — et ce mélange dans son étrange confusion a un caractère bien hellénique, — pour les yeux, pour le corps et pour l’esprit :


Le temple de la déesse (c’est-à-dire de Bérénice-Aphrodite), les richesses, la palestre, la puissance, la sérénité des jours, la gloire, des spectacles, des philosophes, de l’or, des jeunes garçons, le sanctuaire des dieux frère et sœur (c’est-à-dire Ptolémée II et d’Arsinoé), un excellent roi, le Musée, du vin, tout ce qu’on peut souhaiter, enfin des femmes nombreuses, par la fille d’Hadès, à défier le ciel de porter autant d’étoiles, belles à égaler les déesses qui vinrent se disputer devant Paris le prix de la beauté… Et toi, malheureuse, quelle patience est la tienne de rester ainsi à échauffer ta chaise ? Tu te flétriras sans que tu t’en doutes, et la cendre avalera ta jeunesse. Porte le cap ailleurs, change d’idée pour deux ou trois jours et arrête-toi à prendre du bon temps avec un autre : un navire mouille mal sur une seule ancre.


Gyllis ajoute quelques lieux-communs sur l’incertitude de l’avenir ; puis, baissant le ton, après s’être informée si personne ne peut l’entendre, elle arrive à l’objet de sa visite. Gryllos, illustré par cinq victoires remportées aux jeux, riche d’une richesse bien acquise, l’honneur même, « un cachet intact, » a vu Métricha à la procession de la déesse Misé[1]. C’était de même à une fête religieuse que Simaetha, la magicienne de Théocrite, avait vu le beau Delphis. Comme elle, Gryllos a été pris d’un

  1. Divinité orphique, en relation avec Déméter.