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Le souvenir de cette délicieuse musique (Sémiramis) me remplit d’aise et de douces pensées le lendemain 1er avril. Il ne me reste dans l’âme et dans la pensée que les impressions du sublime qui abonde dans cet ouvrage. À la scène, le remplissage, les fins prévues, les habitudes de talent du maître refroidissent l’impression, mais ma mémoire, quand je suis loin des acteurs et du théâtre, fond dans un ensemble le caractère général, et quelques passages divins viennent me transporter et me rappellent en même temps celui de la jeunesse écoulée.

L’autre jour, Rivet vint me voir et, en regardant la petite Desdémone aux pieds de son père, il ne put s’empêcher de fredonner le Se il padre mabbandona, et les larmes lui vinrent aux yeux. C’était notre beau temps ensemble. Je ne le valais pas, au moins pour la tendresse et pour bien d’autres choses, et combien je regrette de n’avoir pas cultivé cette amitié pure et désintéressée ! Il me voit encore et, je n’en doute pas, avec plaisir ; mais trop de choses et trop de temps nous ont séparés. Il me disait, il y a peu d’années, en se rappelant cette époque de Mantes et de notre intimité : « Je vous aimais comme on aime une maîtresse. »

Il y a aux Italiens, qui jouent maintenant, dans le désert, une Cruvelli dont on parle très peu dans le monde et qui est un talent très supérieur à la Grisi, qui enchantait tout le monde quand les Bouffes étaient à la mode.

Une chose dont on ne s’est pas douté, à l’apparition de Rossini, et pour laquelle on a oublié de le critiquer, parmi tant de critiques, c’est à quel point il est romantique. Il rompt avec les formules anciennes illustrées jusqu’à lui par les plus grands exemples. On ne trouve que chez lui ces introductions pathétiques, ces passages souvent très rapides, mais qui résument pour l’âme toute une situation, et en dehors de toutes les conventions. C’est même une partie, et la seule, dans son talent, qui soit à l’abri de l’imitation. Ce n’est pas un coloriste à la Rubens. J’entends toujours parler de ces passages mystérieux. Il est plus cru ou plus banal dans le reste, et, sous ce rapport, il ressemble au Flamand, mais partout la grâce italienne et même l’abus de cette grâce.


Dimanche 3 avril.


Retourné aux Italiens : le Barbier. Tous ces motifs charmans, ceux de la Sémiramis et du Barbier, sont continuellement avec moi.

Je travaille à finir mes tableaux pour le Salon, et tous ces petits