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mettre le moins du monde en doute les prérogatives du sénat. Évidemment le sénat est dans son droit, il exerce le plus simple, le plus utile de ses droits en restant un pouvoir de contrôle et de révision prévoyante, en arrêtant au passage, en réservant tout au moins des réformes improvisées dans un intérêt électoral, en préservant autant qu’il le peut l’ordre financier. Il n’existe que pour cela : c’est sa fonction dans les institutions. S’il ne garde pas l’intégrité de ses droits et de son rôle, il n’est plus en effet, comme on le dit, qu’un « rouage inutile. » Le malheur est que depuis longtemps la chambre, livrée à elle-même, s’est accoutumée à se croire omnipotente, à disposer de tout, des finances comme du reste, à prétendre imposer sa loi, ses prétendues réformes, — que tous les ministères qui se sont succédé depuis dix ans se sont prêtés à ces fantaisies de petite Convention, qu’ils ont tous sacrifié les droits du gouvernement et l’ordre financier pour avoir une majorité. Et c’est ainsi que, par degrés, en cela comme en tout, on est sorti de la vérité constitutionnelle et parlementaire pour tomber dans une sorte d’anarchie où tout se confond et s’abaisse, où, au quatrième mois de l’année, il n’y a pas même un budget. On recueille aujourd’hui ce qu’on a semé ; on se réveille devant ce conflit unique, extraordinaire, qu’une chambre ahurie et incohérente s’est fait un jeu d’ouvrir, tout simplement parce que le sénat a cru devoir exercer ses prérogatives constitutionnelles. Comment sortira-t-on de la ? Comment s’en serait tiré le ministère Méline, — et comment s’en tirera le nouveau ministère Dupuy-Peytral ? On ne peut cependant pas demander au sénat d’abdiquer tous ses droits, de renoncer à ses prévoyances, de laisser tout faire quand il croit les intérêts publics compromis. Il faudra bien finir par trouver un moyen, sous peine de n’avoir pas plus le budget de 1894 que le budget de 1893 et de laisser au pays, au lieu de « l’impression d’une marche normale, » l’impression d’une irrémédiable impuissance, triste fruit de fautes accumulées.

Ce qui se dégage de cet amas de désordres et de confusions, c’est le sentiment que cela ne peut plus durer, que la politique de parti qui a fait le mal est épuisée, que le moment est venu de s’affranchir des vieilles servitudes d’une situation usée, de se frayer un nouveau chemin, d’imprimer une allure nouvelle aux affaires de la république. Et ce sentiment est d’autant plus vif qu’on va maintenant à pas pressés vers des élections qui peuvent être décisives, auxquelles tout le monde commence à se préparer. La chambre, qui en est encore à se débattre au palais Bourbon dans ses vaines agitations, ne compte plus guère ; c’est vers le pays qu’on se tourne. Évidemment c’est au pays que s’adressait ces jours derniers le président de la chambre lui-même, M. Casimir-Perier, dans un discours visiblement médité qu’il prononçait devant ses compatriotes de l’Aube et qui ressemble à un programme de gouvernement.