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après 1815, d’une crise aiguë de doctrine. En Espagne, à Naples, dans les Romagnes, en Hongrie, partout on se canonne au nom d’un système. C’est comme une rage d’intervenir et d’édifier péniblement des combinaisons que le premier vent renverse. Les profonds politiques de la Restauration disaient : « Il faut combattre la révolution à Madrid ; » — et les troupes françaises, en franchissant la Bidassoa, tiraient d’abord sur une poignée de libéraux français. Plus tard, les libéraux ne laissèrent point de répit aux infortunés gouvernemens qui tâchaient de voir un peu clair dans les intérêts de la France. La Grèce se révolte ? vite une flotte à Navarin, une armée en Morée. Le sultan, ce vieil allié de la France, deviendra ce qu’il pourra. — Comment ! la Pologne secoue ses fers, et vous n’êtes pas encore en route pour ces plaines qui ont englouti les armées de Napoléon ? À quoi pensez-vous donc, triste souverain, fâcheux défenseur de la paix à tout prix ? — La révolution de 1848 retentit dans toutes les capitales. L’Italie s’agite ; Berlin fait des barricades ; Vienne secoue sa léthargie ; un parlement se rassemble à Francfort. Et vous, république née d’hier, destinée à périr demain, vous n’avez point une, deux, trois armées toutes prêtes à soutenir la cause des peuples ? Vous êtes les prisonniers des odieux traités de 1815 !

Et dans cet étrange dialogue, les gouvernemens, au lieu de répondre simplement : « Nous avons autre chose à faire, » — entraînés par l’ardeur de la dispute, disaient, au contraire : « Vous êtes les boute-feux de l’Europe. Nous allons intervenir en sens inverse. Moi, empereur de Russie, je vais châtier les Hongrois et semer des haines irréconciliables. Moi, président de la république française, j’empêcherai les Italiens d’entrer à Rome, et je fournirai ainsi un prétexte aux longues défiances de l’Italie. » Tel était le drame qui occupait le devant de la scène et qui passionnait les spectateurs. Quant aux résolutions sages, aux conquêtes productives, on y faisait à peine attention. Pendant plus de vingt ans, l’Algérie fut discutée. À distance, il nous semble qu’il aurait fallu renvoyer dos à dos les défenseurs du droit divin et les apôtres du droit populaire, chaque fois qu’ils voulaient transporter leur querelle au-delà des frontières. Les uns et les autres se trompaient. Un gouvernement a charge d’âmes ; il n’a que faire de redresser les torts et de rompre des lances pour la bonne cause. Sa tâche est strictement limitée par l’intérêt national. Les peuples sont trop différens les uns des autres pour qu’on leur applique les mêmes remèdes. Chacun est juge de ses besoins. C’est en politique qu’on peut dire : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Le fédéralisme serait un crime chez nous : c’est la loi fondamentale de la Suisse et c’est la