Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fameuse de la bonté, de la sagesse, de la générosité natives du peuple ? Quelques mois après, les amis, les parens de ce duc et pair qui vient de faire, — l’imprudent ! — acte de foi public à l’un des articles fondamentaux du Credo révolutionnaire, seront proscrits, traqués, égorgés par ce même peuple dont les intentions sont toujours pures. Et voici précisément que se lève, pour lui répondre, l’homme énigmatique et terrible qui dira de ses propres intentions, — comme il vient d’être dit de celles du peuple, — qu’elles sont pures et qui, fort de cette pureté, demandera, obtiendra et organisera l’extermination en masse des aristocrates.

Nette et claire, d’une logique impitoyable et tranchante : telle fut la réplique de Robespierre au duc de Liancourt. Ce dernier avait proposé un décret rédigé en termes également flatteurs pour les officiers de marine, — et en particulier M. de Rions, — pour la municipalité et la garde nationale de Toulon. Le futur auteur de la loi de prairial n’entend pas que les officiers sortent indemnes de ce débat ; il se fait, avec une singulière âpreté, le porte-paroles de la vindicte populaire, qui réclame leur châtiment : « Lorsque nous sommes convaincus que M. d’Albert de Rions a manifesté des principes contraires à ceux de la révolution actuelle,.. et lorsque la conduite des habitans de Toulon nous offre le caractère d’une résistance légitime contre l’oppression, rien n’est aussi injuste et aussi impolitique à la fois que de donner ou des éloges ou une sentence d’absolution précise à M. d’Albert et aux autres officiers, ou le moindre signe d’improbation à la conduite des habitans de Toulon. » Ces officiers ont commis un crime : ils ont « manqué à la liberté et au respect qui est dû au peuple. » Vers la même époque, des faits analogues se produisaient à Brest, « où la liberté gémissait entourée de soldats, » et à Marseille, « où les meilleurs amis de la liberté, jetés dans les cachots, étaient prêts à périr sous le fer coupable dont les anciens abus et l’antique absurdité de nos vieilles institutions avaient armé la justice. » La forme est emphatique et sonne la rhétorique creuse. Mais regardez au fond et vous serez effrayé de rencontrer là une première manifestation, parfaitement caractérisée, de la manie de suspicion qu’on verra bientôt reparaître érigée, non-seulement en règle, mais en principe de gouvernement. L’orateur ne peut s’empêcher de conjecturer que les incidens survenus dans ces différentes villes « étaient peut-être liés par des fils qu’il ne serait pas impossible de découvrir. » L’idée d’une confédération destructive tramée entre les chefs de la marine dans les différens ports, — idée que les députés de Toulon lui avaient sans doute suggérée en lui communiquant la correspondance échangée entre la municipalité de leur ville et celle de Brest, — cette