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aspects. Il est prisonnier, il ne peut se le dissimuler. Redoutant quelque traîtrise, il songe à recouvrer sa liberté. Durant les longues marches nocturnes qu’on lui a fait exécuter, il a pu remarquer la haine dont sont animés les soldats tarasques contre les Aztèques, toujours hautains, impassibles, dédaigneux. Il est maintenant séparé de ces compromettans auxiliaires ; toutefois, pourquoi ne lui parle-t-on plus du roi ? Il ne peut séduire ses gardiens, on lui a enlevé ceux de ses bagages qui contiennent les miroirs, les grelots, les verroteries à l’aide desquels il pourrait les bien disposer pour lui. Il prodigue les promesses et elles restent sans puissance, ses gardes étant choisis parmi les soldats qui ignorent la langue aztèque.

Villadiégo projette de s’évader, de retrouver son cheval, ses armes, ses bagages, puis de regagner Mexico. Il est dans un pays inconnu, serait fort en peine pour suivre la route qu’il a nuitamment parcourue ; toutefois, qu’importe. Accoutumé aux luttes d’un contre mille, rien ne l’effraie, ne peut abattre son courage, sa confiance aveugle. Au milieu de ses incessantes et graves préoccupations, il s’étonne de voir une silhouette de femme traverser son esprit, le distraire. Il ne s’agit pas de l’image lointaine, pâlie, d’une amie laissée en Espagne ou à Mexico, mais de la délicieuse silhouette de la jeune fille qui lui est apparue au moment où on l’a introduit dans les jardins du palais, de la jeune fille avec laquelle il a échangé un si long regard, à laquelle il ne peut penser sans que son cœur batte. A-t-il jamais vu un plus ravissant visage, une grâce plus séduisante, un regard plus candide, plus profond, plus troublant, un corps plus parlait ? Non.

Villadiégo a remarqué de larges fissures dans un des murs de sa prison, fissures produites par le tremblement de terre encore récent qui a rendu le palais inhabitable. Déjà la veille, pendant la nuit, il a travaillé à élargir une de ces ouvertures, et il reprend cette tâche. Disjointes, les pierres cèdent sans qu’il soit besoin d’efforts. Bientôt le captif aperçoit une pâle lueur. Il se glisse, lait tomber un dernier obstacle, se voit libre ! Il est libre et, il le reconnaît vite, précisément à l’endroit où il a vu celle qu’il voudrait revoir encore.

Il avance indécis, assourdissant ses pas, se dissimulant dans l’ombre des massifs. Soudain un vaste espace s’étend devant lui et, là-bas, il aperçoit la blanche façade de la demeure des épouses du soleil. La belle jeune femme est là, endormie. Son regard était si doux, si caressant, lorsqu’il s’est arrêté sur lui, que Villadiégo pense qu’elle lui prêterait son aide si…

Il s’éloigne, s’enfonce dans l’ombre des arbres, cherche à s’orienter. Il se sait dans un parc clos de murs, obstacles qu’il croit