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appellent, tâchent de conserver leur ancien domaine, en mettant partout des instituteurs et des institutrices en faction. Depuis des siècles, leur tactique invariable, et d’ailleurs très efficace, est de maintenir, par l’école, la tradition de l’hellénisme et l’espoir de la résurrection nationale. Au lendemain de la conquête, alors que les enfans ne pouvaient sortir sans risquer d’être enlevés et vendus, on raconte que les petits écoliers se glissaient, la nuit, le long des murs pour aller chez le pappas on le didascale, apprendre à lire ; une chanson populaire a conservé le touchant souvenir de cette légende :


Chère petite lune brillante,
Éclaire mon chemin pour que je marche,
Pour que j’aille à l’école
Et que j’apprenne les lettres,
Les sciences et tout ce que Dieu a fait…


Tandis que les patriarches de Constantinople défendaient de toutes leurs forces la grande « école nationale du Phanar, » pleine de manuscrits et de livres, un réseau de petites écoles disséminées s’étendait sur l’empire, à la barbe des conquérans, qui ne daignaient pas faire attention à cette œuvre de longue patience, et qui ne savaient pas qu’un jour ils seraient vaincus par là. Celui qui écrira l’histoire de l’hellénisme sous la domination turque, et qui montrera, par ce moyen, que nul acte de possession brutale ne peut être prescrit quand le peuple conquis sait agir et attendre, devra nous montrer, par le menu, dans la suite des temps, tous les résultats et toute la portée de cet effort caché et invincible : les classes enfantines, installées d’abord dans les églises ou chez les prêtres ; les gymnases d’enseignement secondaire, fondés par de généreux bienfaiteurs de la « nation, » au mont Athos, où Nicolas Zerzoulis, de Metzovo, traduisit en grec les ouvrages de Wolff et de Moschenbaum ; à Ambelakia, en Thes-salie, où Jonas Sparmiotis enseignait l’arithmétique et l’algèbre avec les traités de Glairaut ; à Moschopolis, en Épire, où professa Sébastos Léontiadis, élève de l’université de Padoue ; à Athènes, où Théophile Corydalée, après avoir voyagé à Rome et à Pise, essaya, en lti/i5, de faire revivre la secte d’Aristote ; à Dimitzana, dans le Péloponnèse, où étudièrent le patriarche Grégoire et l’évêque Germanos qui furent, en 1821, les premiers martyrs de l’indépendance ; à Chio, où Martin Crusius trouvait, vers la fin du XVIe siècle,