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les apaise en les menaçant d’une bastonnade ou d’une amende. Mais, quand un Européen est pris par les voleurs, quelle occasion de mortelles inquiétudes pour ceux qui sont chargés de la police des chemins ! Les puissances occidentales ont le mauvais goût de se fâcher lorsqu’un de leurs « nationaux, » comme disent les consuls, est molesté par quelque roi des montagnes. On l’a bien vu, quand les brigands de Marathon commirent l’imprudence de vouloir détrousser des Anglais et des Anglaises. Sa majesté britannique envoya une frégate dans le port du Pirée, et son représentant exigea (ô comble d’humiliation ! ) que ces mauvais drôles fussent jugés par des juges anglais. On l’a bien vu aussi, plus récemment, lorsque le consul de France et le consul d’Allemagne furent égorgés par la populace dans un faubourg de Salonique : quelle allaire, grand Dieu ! On ne se contenta pas de pendre, pour de bon, les principaux coupables. Que de fonctionnaires destitués ! Que de pachas déchus ! Combien de grands personnages expient, maintenant, sous le ciel torride de l’Yémen, ou dans les solitudes de la Mésopotamie, cet esclandre qu’ils ne purent, hélas ! ni prévoir ni empêcher !

Je voyais que de vagues terreurs hantaient l’âme timorée d’Armenak. Je lui représentai que mon petit équipage ne risquait pas de tenter les chercheurs d’or, et que j’espérais bien traverser le vilayet sans rencontrer le capitaine Andréas, terrible aux Anglais, ni Manoli d’Adramytte, ni le redoutable Belial Balanga, qui se disait gouverneur de Monastir. Son excellence, voyant que ma décision était arrêtée, estima sans doute qu’il n’était pas utile d’insister davantage. Un scribe obséquieux accourut à l’appel d’un timbre, et griffonna quelques mystérieuses écritures. Puis, Armenak-Effendi m’emmena dans une autre salle, où son excellence le vali donnait ses audiences.

Ceux qui connaissent la Turquie par les Orientales de Victor Hugo, les tableaux de Decamps, les gravures du Voyage de Choiseul-Gouffier, et les récits relatifs aux guerres de l’indépendance grecque, sont disposés à voir, dans un Orient d’opéra-comique, des pachas affublés de hauts turbans, et prêts à faire voler des têtes dans l’éclair tournoyant d’un yatagan de Damas. Le Turc très considérable qui gouvernait Smyrne, et auquel j’eus l’honneur d’être présenté par le complaisant Armenak, ne ressemblait pas plus aux « dervis » du Bourgeois gentilhomme qu’aux « heyduques » dont le sabre nu protège la beauté de Sarah la Baigneuse. Depuis que le sultan Mahmoud a cru réformer l’esprit de ses peuples en réformant le costume de ses fonctionnaires, les aigrettes étincelantes de pierres précieuses, les robes fleuries, les pelisses de zibeline, insignes des plus hautes dignités, et les queues de cheval que l’on