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lui-même n’avoir pas étudiées à fond. Dans sa jeunesse, il avait, sous la protection de Gontran, institué trois couvens : Annegray (près Faucogney), Luxeuil, Fontaine. Empruntée à la rigide discipline des monastères d’Ecosse et d’Irlande, la règle en était rude à l’excès : obéissance passive, absolue, silence perpétuel ; comme nourriture des légumes, de la farine détrempée d’eau et un petit pain, jeune, travail, prière et lecture quotidiens, et, sous le titre de pénitentiel, une sorte de code criminel qui prodigue la peine du fouet pour les omissions les plus insignifiantes. Les malades eux-mêmes doivent battre le blé sur l’aire. Colomban donne l’exemple, et prescrit à ses religieux de se mettre au lit si fatigués qu’ils dorment déjà en y allant, de se lever avant d’avoir dormi suffisamment. Et cependant, les nouveaux disciples, nobles et paysans, riches et pauvres, affluaient. À Luxeuil, six cents moines défrichent, labourent, fauchent, moissonnent, fendent le bois. Luxeuil, anéanti par les invasions barbares, renaît à la culture, à la vie, et son abbaye devient la capitale monastique des pays francs, une pépinière d’évêques, de prédicateurs, de missionnaires, et, pendant tout le VIIe siècle, la plus célèbre école de la chrétienté. L’évêque saint Éloi, ministre de Dagobert, allait souvent y faire des retraites ; Ébroïn et Léger y furent enfermés ensemble quelque temps. Cette prospérité fut un instant menacée par les intrigues d’un faux frère nommé Agrestin, mais devant le concile de Mâcon (621), Eustaise, successeur de Colomban, justifia la règle de Luxeuil qui sortit intacte de l’épreuve. Toutefois son austérité extrême, et sans doute aussi la faveur spéciale des papes pour la règle de saint Benoît, eurent ce résultat que Valbert, troisième abbé de Luxeuil, élève lui aussi et compagnon de Colomban, dut se résigner à voir les deux règles figurer dans les statuts des colonies religieuses fondées par ses moines. En 670, le concile d’Autun ne reconnaît plus que la règle de saint Benoît, et, avant la fin du siècle, celle de Colomban avait subi une éclipse complète.

Un autre compagnon du moine irlandais, Desle, qui accompagnait son supérieur après l’expulsion de Luxeuil, sentant ses forces l’abandonner, demande la permission de ne pas aller plus loin, et, après avoir couru quelques hasards, obtient l’autorisation de s’établir sur le territoire qui forme la ville actuelle de Lure. Quelques années après, comme il avait déjà groupé autour de lui de nombreux disciples, le roi Clotaire II, chassant dans les environs, poursuivit un sanglier qui vint tout droit se réfugier dans la cellule de Desle. Celui-ci mit la main sur la tête de l’animal et dit : « Puisque tu es venu demander la charité, tu auras la vie sauve. » Le roi voulut contempler de ses yeux ce prodige, il interrogea le vieux moine, s’enquit de ses moyens de subsistance. « Il est écrit,