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bataille de Pontarlier, on l’enterrait à Pothière, abbaye fondée par ses soins, au diocèse de Langres. Sa noble femme fut ensevelie à ses côtés, et pendant des siècles le respect public honora la modeste pierre sans inscription qui couvrait leurs restes mortels ; en 1343, un petit-fils de Jean de Chalon l’Antique choisit sa sépulture auprès de leur tombeau.

Charles le Chauve avait enseigné l’usurpation, la révolte des sujets contre leurs souverains, transformé les emplois en bénéfices héréditaires, préparé le régime féodal, l’affaiblissement indéfini du pouvoir déjà compromis par les partages des États entre les héritiers des rois ; ses leçons se retournèrent contre lui et sa race. Son fils Carloman se révolta, il lui fit crever les yeux ; tandis qu’il obtenait la couronne impériale en Italie, ses principaux leudes s’insurgèrent : Roger, son beau-frère, investi des dignités de Gérard, fait duc, archi-ministre du sacré-palais, voulut être roi, fut élu à Mantaille par les évêques de l’ancienne Burgundie (879), prit les armes contre la famille de son bienfaiteur. Ce troisième royaume de Bourgogne, ombre d’une ombre, entre dans l’histoire pour en sortir presque aussitôt ; un quatrième royaume se constitue avec Rodolphe de Stratlingen (880-888), et dès lors on tombe dans une nuit épaisse. Et cette année changea en la suivante, répétera comme un refrain monotone le chroniqueur : la monotonie de la douleur, de l’oppression et de l’épouvante. Quelques traits sillonnent cette obscurité, comme des étoiles sur un fond noir : notre Bourgogne, ravagée par les Normands et les Germains, livrée à l’anarchie, parce que, dit un contemporain, « il n’y avait ni roi ni juge » (889-937) ; — le comte Bernon relevant l’abbaye de Baume-les-Dames, créant ensuite Cluny, le monastère des monastères ; — l’invasion des Sarrasins et des Hongrois habilement excités les uns contre les autres par Conrad le Pacifique, qui tombe ensuite sur eux et les écrase (950-956) ; Adélaïde, sœur de Conrad, héroïne de sa race et de son siècle, qui eut pour panégyristes la religieuse Hroswitha et saint Adelon, abbé de Cluny, connut les fortunes les plus diverses : femme de Lothaire II, roi d’Italie, prisonnière de son compétiteur Bérenger, délivrée d’une façon presque miraculeuse par l’empereur Othon Ier, qui l’épouse et partage avec elle son autorité ; — Rodolphe III, le roi jurassien, rex jurensis, sollicitant contre ses vassaux l’appui des empereurs d’Allemagne qui le lui accordent à la condition que son héritage leur reviendra. Et Conrad le Salique le revendiqua par les armes, mais il se soumit à l’élection des prélats, des feudataires et du peuple qui à Payerne le proclamèrent roi. Cinq ans après, en 1038, une assemblée générale de la nation, tenue à Soleure, acclamait son fils Henri. Cependant que les grands s’efforcent de sauver les épaves de la nationalité bourguignonne, surtout de rendre aussi