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pour les faucons ; et si pour les faucons il en prend, il paiera la poule deux deniers. Béatrix, fille de Raynaud III, héritière de la Comté et femme de Frédéric Barberousse qui l’avait tirée des griffes d’un oncle avide de ses biens, est une gracieuse figure qui, au milieu des rudes batailleurs du temps, semble une fleur dans une lande. Les contemporains la célèbrent à l’envi : « Elle avait, disent-ils, une taille moyenne, des cheveux d’un blond doré, des dents blanches et bien rangées, un port droit, une bouche petite, la physionomie modeste, des yeux transparens, suaves et doux, le parler chaste, les mains délicates ; elle était pleinement soumise à son conjoint, le craignant comme son seigneur, l’aimant par-dessus tout comme son époux, lettrée et fidèle à la foi. » En ces temps où l’on n’avait pas encore de capitale, Frédéric résidait de préférence au château de Dôle ; il visita plusieurs fois la Comté, et, devant son tribunal de Besançon[1], il tranchait souverainement les difficultés entre évêques, abbés, feudataires et communes naissantes. C’est à Besançon même qu’il se fit proclamer roi de Bourgogne et d’Arles : tandis qu’il recevait les hommages de ses vassaux, deux légats du pape Adrien IV se présentèrent, et l’un d’eux, ayant eu l’audace de soutenir que la dignité impériale était un fief relevant de la papauté, faillit être mis à mort par les Allemands qui suivaient l’empereur. Plus tard, ce légat fut élu pape. Frédéric refusa de le reconnaître, provoqua l’élection d’un anti-pape avec un schisme qui troubla douloureusement la chrétienté et l’église de Besançon (1156-1159). Rêvant de domination universelle, aspirant à faire du pape l’aumônier de l’empire, il envahit six fois, mit à feu et à sang l’Italie ; d’ailleurs il institua beaucoup d’œuvres charitables en Comté, et par exemple un hôpital pour les femmes infirmes à Franchevelle (Haute-Saône.)

À l’appel de Pierre l’Ermite, de saint Bernard, rois, vassaux et peuples se croisent : notre noblesse bourguignonne prend une part active à ce grand mouvement qui, satisfaisant les goûts aventureux, la soif de l’inconnu, étendait indéfiniment le domaine de l’imagination, offrait les perspectives les plus hautes aux ambitions de l’âme et de l’esprit. Déjà, vers 1092, le comte Raymond était allé renverser un empire mahométan en Espagne, avait délivré Tolède et fondé une dynastie. Guillaume, frère de Raynaud III, est un des héros de la deuxième croisade. En apprenant la prise de Jérusalem par Saladin (1188), Frédéric Barberousse se croise, à l’âge de soixante-huit ans, et meurt dans son triomphe, au-delà du mont Taurus ; un de ses compagnons d’armes, Thierry de Montfaucon, archevêque de Besançon, commande des batailles

  1. Besançon, ville impériale, ne faisait pas partie de la Comté, à laquelle elle fut réunie, bien contre son gré, lors de l’échange de 1654.