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de lui-même, un peuple entier attendait l’empereur à son arrivée. Guillaume II repartit, un matin, dans le silence des rues désertes.

Aux dures paroles qui étaient tombées de sa bouche, on n’avait répliqué que par des « paroles veloutées, » — le mot est du grand Frédéric, — car le velours est une étoffe d’origine et de fabrication italienne. Mais le résultat laissait à désirer. Le Vatican, soucieux des formes presque autant que de la substance, était blessé dans l’âme du mépris de toutes formes ; le Quirinal, en comptable forcé d’y regarder de près, comparait le doit et l’avoir et se demandait si les dépenses ne l’emportaient pas sur le bénéfice net.


IV

Bien que le roi et la reine eussent, dans l’intervalle, goûté l’hospitalité de Potsdam, bien que ce fût toujours l’alliance, toujours l’union italo-allemande, la lune de miel avait été légèrement troublée : l’Italie avait invité aux fêtes de Gênes, en leur donnant une place d’honneur, des voisins qui ne plaisaient pas ; la triple alliance en sortait plutôt affaiblie, du moins pour ceux qui ne la voient que du dehors.

Le 22 avril 1893 ramenait le vingt-cinquième anniversaire du mariage d’Humbert, prince royal d’Italie, avec sa cousine Marguerite. Ils avaient eu d’abord la généreuse pensée de dédier aux pauvres leurs noces d’argent, et cette pensée généreuse, il est bien permis de le dire, était en même temps une pensée très politique : une communauté de fortune s’y affirmait entre souverains et sujets ; la nation croyait vivre avec la dynastie, qui semblait vivre pour la nation. Le roi et la reine célébreraient leurs noces d’argent à leur manière : par une fondation de charité. Pour eux, ils ne voulaient ni pompes, ni cadeaux.

Subitement, tout change : l’empereur s’annonce. Pourvu qu’il vienne simplement, bourgeoisement, en ami ! Le roi l’en prie entre les lignes du télégramme qu’il lui adresse : « Marguerite et moi, nous nous réjouissons de te revoir, toi et ta femme. » Le prince Ruspoli, syndic ou maire de Rome, ne se réjouit pas moins que le roi et la reine, d’une joie qui n’est pas sans mélange. L’empereur aux noces d’argent, l’empereur et l’impératrice, bonne nouvelle, mais pas de crédit au budget, peu de fonds en caisse ; où s’en vont les promesses d’économie ? Humbert et Guillaume correspondent ; point de ministres interposés. Que se passe-t-il ? Comment Guillaume II vient-il ? comme ami ou comme empereur ? Il n’y a pas de diplomates dans le secret : on l’ignore. On sait seulement, par des ouvriers trop bavards, qu’on bouleverse intérieurement toute une aile du Quirinal, qu’on y abat et qu’on y refait des