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abaissement des tarifs de grande vitesse, une réduction de l’impôt sur les propriétés non bâties, et l’incorporation au budget normal de ces chapitres du budget, dit extraordinaire, qui ont un caractère permanent, elle a, en revanche, notablement accru certaines dépenses d’intérêt électoral, tout en prétendant réaliser des dégrèvemens éclatans. Par suite, l’équilibre budgétaire que l’on avait obtenu, non sans peine, en 1890, s’est trouvé rompu, et nous nous voyons aux prises avec des déficits qui n’ont rien d’effrayant, il faut le dire, mais qui ne peuvent cependant pas être tolérés. Nos petits-neveux, auxquels nous léguerons une dette publique, accrue de 18 milliards en vingt-trois ans, voudront bien considérer que tout cet argent représente de grandes choses : la rançon de guerre, la reconstitution du matériel et des places fortes et une masse énorme de travaux publics dont quelques-uns, comme les chemins de fer, procureront dans un demi-siècle, au budget de l’État, 1 milliard peut-être de revenu par an. Néanmoins nous ne pouvons, pour mieux enrichir nos successeurs, commencer par nous ruiner nous-mêmes. Et c’est ce qui nous arriverait si nous accroissions sans cesse les charges du trésor. Il faut choisir entre les augmentations de dépenses et les diminutions de recettes ; nous ne devons pas prétendre faire les deux à la fois ; nous ne pouvons même, à bien envisager notre situation active et passive, faire pour le moment ni l’un ni l’autre, puisqu’avec économie nous joindrons seulement les deux bouts.

Il nous est loisible, toutefois, de remplacer un impôt médiocre par un meilleur, et c’est ce que l’on veut essayer de faire par la réforme des boissons. Mon éminent et regretté prédécesseur reprochait, il y a quelques mois, à la chambre, la façon téméraire dont elle avait voté cette suppression radicale de l’impôt sur les boissons hygiéniques (vins, cidres et bières), sans assurer suffisamment la contre-partie des 78 millions dont elle venait de priver le budget de recettes. Le gouvernement s’est engagé à introduire cette réforme dans le budget de 1894, et le sénat, par une louable initiative, a pris à tâche d’étudier tout seul cette transformation de notre fiscalité, sans attendre que le gouvernement ou la chambre le saisisse de nouveaux projets. L’affaire, on le sait, est très complexe ; on se heurte aux législateurs qui trouvent que le meilleur impôt est toujours celui qui existe, parce que le public y est habitué ; empiriques forcenés qui, s’ils avaient assisté à la création du monde, auraient dit au Seigneur : « De grâce, conservons le chaos, nous le connaissons. » Il faut ménager ensuite des intérêts respectables, tels que ceux des bouilleurs de cru ; enfin la majorité des sénateurs est surtout frappée de ce fait qu’en imposant une surtaxe à l’alcool, en augmentant par suite l’attrait de la fraude, ce serait folie d’énerver, de désarmer plus ou moins l’administration chargée de la réprimer, en abolissant une partie de la surveillance actuelle.