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Leur présence était d’autant plus topique que toute l’argumentation de M. de Caprivi consistait à développer le thème suivant : l’Allemagne devait à tout prix être en mesure, non-seulement de se défendre, mais de prendre l’offensive dès le début d’une guerre, pour protéger « ses frères d’Alsace, » nouveaux-venus dans l’empire, que l’on ne saurait abandonner aux rigueurs des armées françaises.

Bref, l’issue du débat restait entre les mains du centre que l’on espérait convertir pour la majeure partie aux idées de M. de Huene. Déjà M. Richter, en présence de la défection de M. Hinze et de ses amis, avait annoncé que, tout en souhaitant le rejet de la loi, il ne prendrait pas la parole, et les amis du gouvernement semblaient triompher. Le lendemain, après une discussion orageuse, le centre catholique se prononçait, à l’écrasante majorité de 90 voix environ, contre le compromis de Huene, qui n’en réunissait qu’une dizaine, parmi lesquelles celle du président du groupe, le comte de Ballestrem. Et ce n’est pas une des conséquences les moins intéressantes de cette lutte, que la séparation en deux fractions, d’ailleurs très inégales, des deux élémens, — féodaux et démocrates du Sud, — d’un groupe demeuré jusqu’à présent si uni et si compact, durant les longues campagnes qu’il a poursuivies. Dès lors le rejet de la loi put être considéré comme certain ; tous les pointages étaient d’accord là-dessus ; il ne s’agissait que de savoir par quelle majorité le ministère serait battu. Néanmoins, et quoiqu’il eût en poche le décret de dissolution du Reichstag, pour le moment où cette éventualité se produirait, il semble que le chancelier de Caprivi ait, jusqu’au bout, conservé quelque espoir. Les démarches furent par lui prodiguées en vue d’obtenir le déplacement d’une quinzaine de voix qu’il estimait lui suffire : presque à la dernière heure on voyait surgir et échouer encore un nouveau compromis des nationaux libéraux, établissant le service légal de deux ans, au sujet duquel le gouvernement refusait de se lier les mains.

Dans cet assaut d’éloquence auquel, pendant quatre séances consécutives, se livrèrent les orateurs de tous les partis, depuis MM. de Manteuffel et le ministre de Kaltenborn-Stachau, jusqu’à MM. Lieber, Grœber et Bebel, il importe, à nous Français, de relever une opinion inexacte, que les défenseurs de la loi ont plus d’une fois formulée, dont M. de Bennigsen notamment s’est fait l’interprète : « Il n’y a qu’une chose, a-t-il dit, qui puisse forcer les Français, non pas à oublier les faits, mais à abandonner l’idée de la revanche, c’est la résolution inébranlable que nous prendrons de tirer complètement parti des forces dont nous disposons, et de nous donner ainsi une supériorité à laquelle ils ne pourront jamais atteindre ; c’est le sentiment qu’auront les Français de ne jamais pouvoir disposer de quelque chose qui ressemble à notre armement. » Or, depuis déjà un certain nombre